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 (20,1) Octobre 1987

TIERS-MONDE
le tiers-mondisme en question

Sommaire du Fonds Mondial

 

Certains lecteurs de MONDA SOLIDARECO l'ont remarqué, et la question nous en a été posée lors de réunions de présentation du FONDS MONDIAL, nous n'utilisons que très rarement les expressions " Tiers-Monde "et " tiers-mondisme. " Pourquoi ?

La réponse est toute simple : Le FONDS MONDIAL ne se reconnaît pas dans le tiers-mondisme.

NAISSANCE ET EVOLUTION DU TIERS-MONDISME

1. Le tiers-mondisme recouvre une réalité des années 50 où :

  • l'Ouest et l'Est (1er et 2ème mondes) connaissaient des relations extrêmement tendues (époque dite de " guerre froide ",
  • tandis que le sud (3ème monde) et plus spécialement les pays colonisés essayaient, au milieu de difficultés économiques croissantes, d'obtenir leur indépendance.

2. Ce tiers-mondisme " politique " aurait dû mourir avec la vague d'indépendance des années 60 et 70, mais il n'en fut rien pour des raisons économiques :

  • les entreprises coloniales sont restées, devenant entreprises multi - (ou trans -) nationales ;
  • d'autres sociétés transnationales ont profité de la disparition des protections, coloniales pour s'installer dans ces nouveaux pays,

... si bien que le type d' " exploitation " coloniale (pillage des richesses et des forces de travail) a continué jusqu'à en arriver à des situations économiques qui se sont révélées catastrophiques lors de circonstances aggravantes, les sécheresses par exemple.

Depuis les années 60, un peu partout, des groupes se sont peu à peu structurés pour revendiquer l'indépendance économique des " pays du Tiers-Monde " donc inévitablement un renforcement quasi général des frontières. Cette revendication peut paraître assez paradoxale à une époque où les nations sont de plus en plus interdépendantes à tous points de vue, et où les solidarités les plus généreuses se veulent " sans frontières. "

3. De ces deux mouvements tiers-mondistes, politique et économique, dérive maintenant un troisième : un tiers-mondisme que l'on pourrait qualifier de " social ", puisque " Tiers-Monde " signifie aussi " populations démunies. " Ceci est surtout vrai chez les habitants des pays riches du Nord,

  • où l'argent que donnent les individus " pour le Tiers-Monde " est en fait destiné aux populations du Sud - et non aux États ou aux entités économiques,
  • de plus, il est devenu courant d'y entendre dire " Le Tiers-Monde est aussi chez nous " ce qui signifie que des ressortissants des pays pauvres sont venus tenter leur chance au Nord.

" TIERS-MONDE " : UNE EXPRESSION VIDE DE SENS

Actuellement " TIERS-MONDE " désigne-t-il des États ou des populations ? Des populations miséreuses ou des populations pauvres mais en progrès ?

" Tiers-Monde " sert-il à décrire les anciennes colonies de l'Occident, ou ce qui n'appartient ni à l'Ouest ni à l'Est ou le non-alignement ?

" Tiers-Monde " est-il synonyme de " Sud " de " pays pauvres " ou de " pays en voie de développement ", ou de " régions - économiquement dominées " ?

Doit-on, et selon quels critères, inclure dans la liste du "Tiers-Monde" les Guyanes, Cuba, Israël, l'Iran, la Thaïlande, la Chine et les populations migrantes ?

On peut donc s'étonner qu'une expression aussi mal définie soit si utilisée, car ce n'est pas rendre un service à la paix que d'entretenir la confusion dans les esprits. Il est dès lors dangereux d'utiliser une si mauvaise expression pour en former une autre à consonance idéologique : le " TIERS-MONDISME " dont il n'existe aucune définition satisfaisante. L'emploi de telles expressions ne peut conduire qu'à des impasses car il est impossible d'appliquer avec cohérence, et de remettre en cause des concepts non définis ; il devient alors impossible de progresser.

TIERS-MONDISME" = DANGER !

Mais il y a plus grave.

Si l'on parle des " pays du "Tiers-Monde ", l'on sous-entend nécessairement qu'il s'agit de territoires nationaux régis par des États... nationalistes évidemment. Vouloir l'indépendance politique ou économique des États est un piège (*) dangereux, car si les États sont de plus en plus indépendants, ils se voudront de plus en plus souverains jusqu'à revendiquer l'absolue souveraineté sur leurs territoires et leurs populations. Quelque 160 souverainetés absolues sur le plan international ne peuvent être que concurrentes et donc s'opposer... par la force si besoin est - et on ne s'en prive pas : voir le grand nombre de conflits locaux qui n'ont pour seule motivation que l'affirmation de cette indépendance et de cette souveraineté absolue. Vouloir l'indépendance des pays (du Tiers Monde ou d'ailleurs) c'est jusqu'à un certain point, cautionner la course aux armements et en approuver l'usage éventuel.

Une alternative : le MONDIALISME

Nous l'avons déjà dit dans ce bulletin : la misère économique, donc la faim, est un phénomène de presque toutes les régions du monde. La faim n'est pas ou n'est plus la spécificité des régions économiquement, dominées. Presque partout dans le monde existent des populations économiquement faibles au sein desquelles se pose le problème de la nourriture : indiens du Mexique ou de Bolivie, paysans du Rwanda ou de Madagascar, pêcheurs du Sénégal, chômeurs de tous pays (dont 31 millions dans les " régions nanties. ")

Pour nous, l'urgence c'est le long terme : il est urgent de normaliser les rapports entre les populations au moyen de lois communes à toute l'humanité ; il est donc urgent, au contraire, du Tiers-Mondisme, d'exiger des États des délégations, partielles de souveraineté au profit d'institutions mondiales capables d'assurer la satisfaction des besoins fondamentaux communs à tous : sécurité, alimentation, protection de la biosphère, protection ou contrôle du respect des droits de l'homme. Ces institutions mondiales que nous voulons créer devront bien entendu être démocratiques et laisser le plus possible de liberté et de responsabilité aux identités régionales ou locales, à commencer par l'individu. Elles devront être supranationales c'est-à-dire exercer une autorité réelle et sanctionnée sur les États, sur la gestion du patrimoine commun de l'humanité (la mer, l'air, le sous-sol, les forêts équatoriales...) et sur le commerce transnational afin que les interdépendances deviennent équitables.

Il est encore temps de vouloir un Monde démocratique et fédéral... Encore faut-il pour cela ne pas chanter d'hymne à la gloire de l'indépendance et de la souveraineté absolue des États fauteurs de concurrence et de guerres.

Daniel. Durand

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