Comme chaque année, l'Institut
         d'Etudes Mondialistes, institution créée -
         comme le Fonds Mondial - sous l'égide du CONGRES DES
         PEUPLES, a tenu sa session au château de " la
         Lambertie, en France, du 23 au 31 Juillet.
         
         Le thème de cette année était "
         l'Economie Mondiale. " Il intéressait donc au plus
         haut point le Fonds Mondial qui oeuvre pour le
         développement - entre autres - économique.
         
         
         Et, de fait, ceux d'entre nous qui y assistaient ont eu
         la chance de recevoir le message de Dominique TEMPLE dont la
         conférence a profondément impressionné
         l'auditoire. Un véritable choc culturel ! Une toute
         autre ouverture à l'étude des rapports
         économiques, sociaux et culturels dans les
         sociétés humaines.
         
         Et pourtant, rien de nouveau : simplement la
         réactualisation d'un mode de production bien plus
         ancien que ceux que nous connaissons, puisqu'il s'agit de
         celui des civilisations des Indiens d'Amérique du
         Sud. Système dont les fondements, détruits par
         la colonisation, resurgissent après quatre
         siècles de domination, de négation., de
         persécution.
         
         Ce renouveau a été. rendu possible par une
         série d'événements et de luttes depuis
         les années 1970 dont les faits. marquants ont
         été, successivement, la promulgation de la loi
         d'inaliénabilité des terres indiennes au
         Pérou, l'éphémère existence du
         Conseil Indigène du Paraguay" en 1974, un vaste
         mouvement de prise de conscience de l'indianité en
         Amazonie et, enfin, en 1987, le triomphe. à TR.IPOLI.
         (Libye) des thèses de la. RECIPROCITE face aux
         thèses intégrationnistes de tutelle des
         Indiens au sein des mouvements indianistes.
         
         Car c'est du système de production basé sur
         les principes de la RECIPROCITE COMMUNAUTAIRE dont il s'agit
         ici. Qu'est-ce que la RECI.PROCITE ?
         
         La RECIPROCITE s'oppose à la notion occidentale de
         l'ÉCHANGE. Comment cela ?
         
         La hiérarchie sociale indienne est fondée
         sur le PRESTIGE de ses membres. Et le PRESTIGE s'acquiert
         par le DON. Plus on donne à autrui, plus on
         s'élève, c'est-à-dire qu'on acquiert
         plus de pouvoir, ou mieux, de responsabilité. Bien
         entendu plus on désire s'élever, plus on doit
         donner... et plus on doit produire : un tel système
         socio-économique est générateur
         d'abondance. Or, pour que chacun reçoive d'autrui, il
         suffit que le don soit reproduit. Ainsi l'économie de
         RECIPROCITE est l'économie de REPRODUCTION. DU DON
         (*).
         
         Or, voici que le don d'une chose matérielle (qui
         peut être un moyen de production) se traduit, pour le
         donateur, par l'acquisition d'une valeur spirituelle : une
         plus haute responsabilité. D. TEMPLE définit
         celle-ci comme une valeur d'"ETRE".
         
         Et cette valeur d' " être " est radicalement
         différente des valeurs dégagées par
         l'économie capitaliste qui est basée sur
         l'ACCUMULATION sans fin de biens matériels. Dans ce
         cas, on n'échange que pour acquérir encore
         plus : les valeurs de référence sont des
         valeurs d'AVOIR.
         
         De ce point de vue, les systèmes collectivistes
         s'opposent faussement au capitalisme : surgis en son sein et
         en référence à lui, ils
         procèdent de la même logique, ne
         prétendant que généraliser la valeur
         d'"avoir" de la propriété individuelle
         à la propriété collective.
         Privatisé ou collectivisé, l'ÉCHANGE
         reste toujours fondé sur l'INTÉRÊT,
         c'est-à-dire le contraire du souci de l'autre.
         
         C'est le souci de l'autre qui fonde la RECIPROCITE.
         Celle-ci conduit donc a la solidarité (comment
         pouvions-nous nous y intéresser ?), au bien commun,
         au service public. La notion de l''être" n'est plus
         individuelle, mais communautaire, pluridimensionnelle.
         
         La référence à une entité
         commune supérieure à celle de l'individu est
         le " plus être d'Humanité " que la RECIPROCITE
         engendre.
         
         Les Indiens ACHé du Paraguay se nommaient " Nous,
         les vrais Hommes. " Leur génocide s'est achevé
         en 1975... Chez les Jivaros, l'hospitalité et le don
         de tout ce que l'on possède instaure une relation
         d'amitié plus puissante que la vie et la mort.
         
         Mais que se passe-t-il l'interface des deux
         systèmes lorsqu'un Indien entre en contact avec un
         Occidental ?
         
         " RECIPROCITE " : pour acquérir du PRESTIGE;
         l'Indien donne autant qu'il peut.
         
         " ECHANGE " : pour ACCUMULER du bien, l'Occidental prend
         tout et rend le moins possible.
         
         C'est ce que Dominique TEMPLE appelle le " quiproquo
         historique ", car chacun ignore les valeurs de l'autre.
         L'ennui est que le quiproquo fonctionne à sens unique
         : la dépossession matérielle de l'Indien au
         profit de l'Occidental... qui ne reconnaît pas le "
         plus d'être " de l'Indien !
         
         Voilà comment, florissantes dans les temps
         précolombiens, les économies indiennes se sont
         dégradées très vite à
         l'époque de la décolonisation pour tomber au
         seuil de la simple subsistance, souvent même
         au-dessous : dominées, par une logique
         d'ÉCHANGE inégal par essence, elles
         étaient condamnées au
         sous-développement dès lors que le pouvoir
         économique de l'Empire était
         décapité dans le prestige de l'Inca
         (l'Empereur).
         
         Et voici qu'avec les meilleurs sentiments, comme ceux des
         O.N.G. qui se préoccupent du développement
         dans les régions économiquement
         dominées, on peut conforter un système
         destructeur : les projets de développement ont pour
         objet d'augmenter 1' " avoir " en ignorant l' " être "
         au sens de la réciprocité. Aussitôt les
         Indiens redistribuent 1' " avoir " au titre du don... et
         quand cet " avoir " représente le capital d'une
         entreprise ou d'une coopérative, cette
         dernière ne peut plus fonctionner. Alors les O.N.G.
         s'emploient à modifier le :système de
         production. indien pour l'intégrer à celui de
         l'ÉCHANGE. Dominique TEMPLE nomme cela l'
         "économicide."
         
         Force est de reconnaître que le FONDS MONDIAL
         lui-même n'est pas à l'abri de ces erreurs,
         puisque le projet Ayllunakataki Wank'Unaka ("
         des lapins pour les Communautés ") d'EL ALTO DE LA
         PAZ en Bolivie - dans la tourmente d'une énorme
         inflation et des conditions climatiques d'une rare
         extrémité - paraît bien avoir
         échoué aussi pour des raisons
         évoquées par Dominique TEMLE.
         
         Voici donc, en même temps qu'une
         révélation culturelle de première
         grandeur, une interpellation énergique de notre
         pratique ; en effet, le M.UTUALISME ne pourrait-il se
         concevoir comme une généralisation
         institutionnelle du principe de RECIPROCITE ? Et, dans ce
         cas, ne serait-il pas envisageable de mettre au point un "
         interface " efficace entre le mutualisme et la pratique
         réciprocitaire des Indiens de sorte que chaque
         partenaire concoure au développement de l'autre en y
         gagnant ce " plus être d'Humanité " que
         définit si bellement Dominique TEMPLE ?