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le kiosque des Citoyens du Monde

numéro 73, page 2

 Un souffle venu de Porto Alegre

 

Le CRID (Centre de Recherches et d’Information sur le Développement (cf Monda Solidareco n° 71), était présent au Forum social mondial de Porto Alegre où il représentait les ONG adhérentes, dont le Fonds Mondial. Le texte ci-contre de son président, Gustave Massiah, rédigé pour ATTAC, témoigne de l’avancée de la notion de citoyenneté mondiale active dans la conscience collective de ceux qui se battent au quotidien pour un monde plus juste.

A nos yeux, le temps approche, lentement mais sûrement, où l’exercice de cette citoyenneté mondiale sécrètera ses propres cadres institutionnels.

Les impératifs de la fonction développeront les organes qui lui font encore défaut.

AC

Sommaire du Fonds Mondial

Porto Alegre 2002 est un événement. En tant que tel, ce forum social mondial est porteur d'avancées et d'incertitudes. Il donne du sens en situation, il engage une pensée du monde, il éclaire l'évolution du mouvement citoyen mondial.

Dans un processus engagé depuis quelques années, c'est un moment qui est en situation. Porto Alegre a relevé le défi du 11 septembre. Le mouvement citoyen mondial n'a pas été déclassé par la nouvelle donne mondiale. Les attentats et les bruits de bottes ne se sont pas traduit par la marginalisation des luttes sociales. L'Argentine et l'affaire Enron avaient déjà démontré que les contradictions du modèle néolibéral n'étaient pas solubles dans le 11 septembre.

C'est aussi un moment qui a un sens particulier, celui de l'émergence d'une nouvelle culture. Porto Alegre I, en 2001, est parti de la prise de conscience de l'état du monde, des conséquences désastreuses de la mondialisation réellement existante et de la nature de la mondialisation néolibérale. Porto Alegre II, en 2002, devait être marqué par le passage des résistances aux propositions et aux alternatives. Il a largement dépassé cet objectif ; il a révélé l'émergence de la culture politique d'une nouvelle génération.

Woodstock avait témoigné, à partir d'un long cheminement souterrain, de l'irruption de la volonté de liberté dans la culture politique d'une génération. Porto Alegre témoigne des références essentielles d'une nouvelle culture politique pour la planète: le respect de l'autre et de sa dignité ; l'indivisibilité des droits, civils et politiques autant qu'économiques, sociaux et culturels ; l'égalité d'accès aux droits pour tous et le refus des discriminations ; l'attention aux générations futures ; une citoyenneté qui combine la démocratie représentative, le contrôle des pouvoirs et la participation, et qui articule les différents niveaux, le local, le national, le continental et le mondial.

Une pensée du monde s'affirme à travers le foisonnement de Porto Alegre. Elle se nourrit de la discussion et de l'élaboration menée à partir des milliers de pratiques identifiées et rendues visibles. Les ateliers explorent les utopies et les possibles en matière d'accès à l'eau et aux transports, de droit à l'énergie, de l'environnement pour le respect des générations futures, de lutte contre la criminalité et l'impunité, de microcrédits et d'économie solidaire, de l'annulation de la dette et de la réforme des institutions financières internationales, etc. Les mouvements sociaux et les pratiques populaires, en refusant la fatalité de l'évidence néolibérale et la résignation, libèrent une expertise citoyenne.

Dans les multiples rencontres, des éléments de stratégie sont mis en débat. Prenons un exemple, le Forum municipal mondial a vu s'ébaucher une gauche du mouvement municipal mondial. Le débat a porté sur les alliances entre les institutions locales, les associations et les mouvements sociaux, à travers les démarches participatives, pour peser sur les politiques publiques et amener les Etats à définir de nouvelles positions dans le débat mondial. Le débat a porté aussi sur le programme des collectivités locales autour des politiques foncières de lutte contre la ségrégation spatiale, d'égalité d'accès aux services locaux fondamentaux, d'accès au logement pour tous, de fiscalité locale, de démarche participative citoyenne.

Le mouvement citoyen mondial est confronté à une question stratégique majeure, celle de l'articulation entre la question sociale et la question géopolitique. Il doit faire face à la montée des inégalités sociales dans chaque pays, à la montée des inégalités entre le Nord et le Sud et de la domination politique des pays du Sud, à l'unilatéralisme et à l'hégémonie des Etats-Unis.

Le tribunal sur la dette a montré l'ampleur du désastre induit par les politiques menées par le bloc des actionnaires majoritaires de l'économie mondiale. Du point de vue de la paix et de la guerre, l'accord est assez large sur un constat: le rejet du terrorisme est indissociable du refus de se laisser enrégimenter dans une quelconque croisade.

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La difficile articulation entre la question sociale et la question de la paix, en compliquant la question des alliances, renforce une difficulté inhérente au mouvement, celle de la place des plus pauvres, des plus exclus, des plus exploités.

Il s'agit d'éviter que des alliances de plus en plus larges ne les marginalisent et ne permettent finalement à des couches sociales dites moyennes de se saisir du mouvement pour négocier une meilleure place dans une mondialisation légèrement aménagée.

Porto Alegre a permis aussi de prendre la mesure de l'évolution du mouvement. Le mouvement citoyen mondial est d'une grande diversité. Il mêle étroitement les syndicats de salariés et les syndicats paysans, les mouvements écologistes et de consommateurs, les mouvements de jeunesse, les mouvements de solidarité internationale. Il combine les courants politiques qui remettent en cause la mondialisation néolibérale. Pour certains, comme on peut le voir dans une partie de l'Europe et en Amérique latine, la réponse à cette mondialisation implique la régulation publique ; on y retrouve donc naturellement des internationalistes et des souverainistes ; la déviation possible est la dérive nationaliste. Pour d'autres, comme on peut le voir en Grande-Bretagne et dans une partie de l'Asie, la réponse à cette mondialisation est celle du renforcement du pouvoir des pauvres ; on y retrouve donc naturellement des tenants de l'autonomie locale et des tenants de la libéralisation des pauvres, la déviation possible est celle du simple marché capitaliste. Pour d'autres encore, comme on a pu le voir à Durban, en Afrique du Sud, la réponse à cette mondialisation est celle de la lutte contre le racisme et les dominations ; on y retrouve naturellement des anti-impérialistes et des populistes ; la déviation possible est celle des intégrismes.

La culture du mouvement se construit aussi, en situation, à partir de ces héritages et de la capacité de surmonter ces contradictions. Il ne s'agit pas de construire une nouvelle ligne unique. L'unité du mouvement citoyen mondial, c'est sa diversité.

Gustave Massiah, le mardi 19 février 2002.

 

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