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le kiosque des Citoyens du Monde

(79,3 ) Décembre 2003

OGM ou PAS OGM ?
mauvaise question !  (suite) 

Sommaire du Fonds Mondial

Disons que la clé qui ouvre le regard sur tout ce qui va suivre est celle-ci : la transgénèse, ça coûte cher ! ça coûte cher en savoir-faire, en équipements, en mises au point, en contrôles.

Or, pour passer au stade technologique de la production de masse, il faut consentir de très gros investissements : seules de grandes sociétés multinationales, soutenues par des banques, ont les moyens de le faire. Et, de fait, la totalité de la production d’organismes transgéniques à travers le monde est aujourd’hui entre les mains de 5 de ces sociétés. Celles-ci ne sont pas, en dépit de l’image qu’elles cherchent parfois à se donner, des sociétés philanthropiques qui œuvrent pour le bien de l’humanité. Leur but est d’abord de faire le plus de profits le plus rapidement possible, arguant que, en lançant une nouvelle production, elles prennent un risque qui justifie un « retour sur investissement » rapide.

Elles cherchent donc à faire vite… trop vite, car de cela, il découle une série de conséquences qui sont pour le moins alarmantes. Nous en passerons quelques-unes rapidement en revue, sachant que la limite de notre exposé nous oblige à trier les plus visibles.

1/ A quoi ça sert ? La question essentielle à nos yeux, et la moins traitée dans les medias, est celle-ci : des organismes transgéniques, pour quoi faire ? en d’autres termes, quels caractères nouveaux introduire dans quelles espèces cultivées ou élevées pour répondre à de vrais besoins et induire des progrès significatifs ? nos amis du Fonds Mondial ne souhaiteraient-ils pas disposer de variétés de riz pluvial à haut rendement, résistants aux maladies et aux nématodes ? ou de variétés de maïs ou de haricots résistants à la sécheresse ou à la salinité ? ou de variétés d’ignames ou de manioc riches en protéines alimentaires ? ou de races de zébus produisant beaucoup de bon lait ? sûrement, n’est-ce pas ? eh bien, voit-on des propositions de transgénèse en ce sens ? non ! pas assez rentable… les fabricants s’intéressent essentiellement aux marchés « porteurs » des régions nanties en modifiant le maïs, le soja, le colza, la tomate etc.. sur des caractères qui n’ont guère à voir avec les besoins des régions pauvres. La caricature de cette attitude est la mise au point de variétés de plantes résistantes à un herbicide total : ceci ne représente aucune extension des aptitudes écologiques ou même de productivité des plantes concernées, mais ça assure la généralisation de l’emploi de cet herbicide… produit par la même firme à un prix inaccessible aux brousses du sud1.

2/ A l’aveuglette ! Dès le choix de la technique de fabrication des organismes transgéniques, l’option la plus rapide (« bombardement » des cellules-cibles de l’organisme à « améliorer » par les nouveaux gènes choisis, au moyen d’un « canon à particules ») est souvent préférée à l’option la plus précise (insertion des nouveaux gènes par un vecteur biologique, une bactérie par exemple).

  Il en résulte que l’insertion des nouveaux gènes au sein des cellules-cibles se fait au hasard : quand l’insertion réussit2, on ne sait pas où se localisent précisément les nouveaux gènes dans les chromosomes, ni en combien d’exemplaires. Et on ne sait pas si cela peut avoir des conséquences sur le fonctionnement biologique global de la cellule et de l’organisme…

3/ Ça bouscule fort ! Un organisme transgénique est un nouvel être vivant qu’il faut introduire avec précautions dans le milieu agricole, ou pastoral, ou piscicole : son incidence sur l’environnement vivant n’est pas connue a priori. Il faut donc minutieusement et longuement observer ce qui se passe avant d’étendre et généraliser son emploi. Cette lente prudence est incompatible avec l’exigence de rentabilité immédiate des firmes qui produisent ces organismes. Or il est des cas où la dissémination incontrôlée des caractères nouveaux depuis des plantes transgéniques vers des plantes sauvages est clairement à redouter, soit par les croisements interspécifiques naturels, soit via la flore bactérienne du sol. Dans ce cas, voit-on bien la conséquence de la dissémination d’un caractère de résistance à un herbicide, par exemple? d’autre part voit-on bien, plus généralement, les effets sur la biodiversité de l’introduction d’un organisme dans le cas où il présente de forts avantages compétitifs?

4/ Et notre santé ? Reconnaissons que le domaine de l’alimentation humaine est celui qui suscite les fantasmes les plus injustifiés, tant il est peu probable que les caractères sur lesquels portent la transgénèse soient liés à une toxicité humaine. Mais les habitudes alimentaires sont un trait culturel parmi les plus rigides5, d’où des résistances psychologiques dont il faut tenir compte. Cependant l’introduction de protéines inhabituelles dans des ressources alimentaires végétales ou animales destinées à l’homme peut entraîner, chez certaines personnes, des rejets allergiques d’autant plus difficiles à prévoir qu’il s’agit de réactions très individuelles dont le déterminisme est fort complexe. C’est un sujet de médecine générale difficile à aborder.

5/ Une nouvelle forme de travail lié ? tout comme dans le cas des semences hybrides de première génération (les « hybrides F1 »), il est impossible pour l’agriculteur d’affecter une partie de sa récolte de grains transgéniques au réensemencement de ses champs à la saison suivante. En effet, soit ces semences sont devenues beaucoup moins productives, soit elles sont carrément stériles. Il lui faut donc en racheter de nouvelles chaque année, très cher. En outre, le choix de valoriser ce prix élevé des semences est lié à celui d’intensifier sa culture à grands coups d’intrants et de mécanisation en vue de rendements élevés… or, c’est souvent la même firme qui produits les semences transgéniques et les intrants : on voit se dessiner peu à peu le modèle de filières au sein desquelles l’agriculteur

sera inséré par contrat avec une firme qui lui fournira les semences et les intrants, lui imposera un cahier des charges sur la conduite des cultures et lui achètera sa production en vue de sa transformation agroalimentaire. Devenu prestataire de services, l’agriculteur aura perdu son autonomie de décision et d’exécution ainsi que sa fonction de gestionnaire de l’espace rural : vu sous cet angle, c’est la mort programmée de l’agriculture paysanne qui fait encore vivre la plus grande partie de la population du monde et qui maintient des espaces agro-écologiques encore vivables.

6/ Pire encore au sud ! pire, parce que, non seulement la Recherche des régions nanties se désintéresse des solutions transgéniques qui pourraient améliorer les productions vivrières du sud, non seulement les techniques transgéniques sont financièrement inaccessibles aux pays du sud sauf à accroître encore leur endettement insupportable, mais encore parce que des recherches biotechnologiques en cours visent tout simplement à créer au nord des produits de substitution à ceux du sud, comme le cacao, le café, le coton, le sucre ou la vanille. Pire aussi parce que la libéralisation des échanges à marche forcée aboutit déjà à inonder les marchés du sud de denrées, transgéniques ou non, venant concurrencer à faible coût les productions locales.

Voici donc, tracé à (trop) grands traits, le revers de la médaille « transgénèse ». L’avers était la science cognitive, le revers est la technologie productive. Entre les deux, la tranche est bien incertaine. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » disait François Rabelais qu’on peut désormais paraphraser ainsi : « Technologie sans éthique sera ruine de l’humanité ».

Les données fondamentales de cette situation gravement biaisée sont d’une part le contrôle pratiquement souverain des sociétés multinationales sur la recherche6 et l’investissement, d’autre part la pratique inouïe du brevetage du vivant. Car, dans le système économique actuel, toute innovation biotechnologique fait l’objet d’un dépôt de brevet en vue de sa protection commerciale. Et, bien que cette innovation ne porte théoriquement que sur la maîtrise d’une information génétique, c’est de fait le support physique de l’information, donc le gène, qui devient pour longtemps la propriété de « l’inventeur » de l’innovation.

Or, ceci constitue une fantastique escroquerie, car tous les équipements génétiques de tous les êtres vivants préexistaient à la technologie humaine ! jamais personne n’a fabriqué un gène. Dans la transgénèse, la technologie ne fait que le dupliquer et le déplacer : ce qu’on invente, c’est simplement un procédé. C’est comme si telle femme, afin d’enseigner à ses amies une nouvelle technique de préparation du foufou, leur faisait payer, en plus de son enseignement, tout le foufou qu’elles fabriqueront pendant 20 ans en leur imposant de n’en point fabriquer d’autre manière !

Escroquerie d’autant plus grave qu’elle place les besoins à long terme de l’humanité entre les mains de quelques firmes dont les intérêts privés ne sont envisageables qu’à court terme. Il faut être aveugle pour imaginer que les besoins généraux pourront être satisfaits à partir des intérêts particuliers d’une oligarchie technologique qui s’arroge une situation de quasi-monopole.

Clairement, dans le domaine de la transgénèse comme dans celui d’autres technologies de masse, le monde marche sur la tête. Ce n’est pas le principe scientifique de la transgénèse qui est en cause, ce sont les conditions de sa mise en œuvre technologique et commerciale. La question « pour ou contre les OGM » n’a pas de sens. Il ne faut pas confondre le foufou avec la marmite dans laquelle il cuit, ni jeter le bébé avec l’eau du bain. La vraie question est : « quelle transgénèse, pour qui, comment ? ».

Nous répondons qu’il ne peut plus y avoir désormais de progrès technologique de masse sans une maîtrise citoyenne généralisée à l’échelle de la planète de toutes les étapes des processus de recherche, de décision, de mise en œuvre. Transparence et contrôle des objectifs, des méthodes et des moyens de recherche. Transparence et contrôle des objectifs, des méthodes et des moyens de développement technologique.

Vaste ambition qui exige un préalable : organiser la citoyenneté à l’échelle de la planète de sorte que l’humanité devienne en mesure de prendre en main efficacement cette maîtrise de son propre destin (voir éditorial de Daniel Durand). Ceci n’est plus utopique, comme en témoigne l’émergence du mouvement citoyen mondial au travers des Forum sociaux mondiaux. Certes, ça peut prendre encore un peu de temps. Alors, en attendant, trois mesures conservatoires à la portée des mouvements socio-écologistes en lutte :

1/ proclamer inappropriable le patrimoine génétique mondial, comme bien commun non seulement de l’humanité, mais de tous les êtres vivants. Réformer très rapidement le régime des brevets dans cette perspective, avec gel des brevets en cours.

2/ soumettre tout choix sociétal concernant la transgénèse à un double contrôle : contrôle parlementaire dans les pays démocratiques où les contre-pouvoirs de la société civile sont à l’œuvre et contrôle d’une agence de biosécurité à créer au sein de l’ONU.

3/ garantir l’accessibilité technique et économique des organismes transgéniques utiles aux populations les plus pauvres en prenant en compte en particulier les contraintes propres aux agricultures paysannes, aux sociétés agro-pastorales, à la pêche artisanale.

Alain Cavelier

 

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(1) Sans compter que traiter des dizaines de millions d’hectares avec un herbicide total paraît écologiquement complètement fou…

(2) Elle ne réussit pas toujours… d’où la nécessité de lier au gène « utile » un autre gène, dit « marqueur », qui permet de repérer rapidement les transferts réussis. Quand ce gène marqueur code pour un antibiotique qui sera ainsi diffusé dans la nature, on voit poindre de graves problèmes environnementaux et de santé publique.

(3) Par exemple, le colza transgénique résistant à l’herbicide glyphosate peut transmettre cette résistance à de nombreuses crucifères adventices.

(4) Certains poissons transgéniques éliminent par leur pression sur les ressources alimentaires de nombreuses espèces moins vigoureuses ; le maïs transgénique résistant à la chenille de la pyrale est toxique pour d’autres lépidoptères non parasites.

(5) Demandez à notre ami Christian Trianneau combien il apprécie de manger des chenilles frites quand il voyage dans le Sahel…

(6) Aucun laboratoire public n’a aujourd’hui les moyens de poursuivre une recherche indépendante sur la transgénèse : tous travaillent en contrat avec une ou plusieurs firmes privées qui, apportant l’argent, pèsent évidemment fortement sur l’orientation des recherches et la divulgation des résultats.

 

 

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