NAIROBI, 19 octobre 2009 (IRIN) -
Quarante ans après la signature d'une convention
historique sur les droits des réfugiés
africains, les dirigeants du continent sont
appelés à marquer une nouvelle étape
juridique décisive, en adoptant un instrument de
protection des personnes déplacées à
l'intérieur de leur propre pays.
La Convention africaine sur la protection et
l'assistance aux déplacés internes en
Afrique sera la priorité de l'ordre du jour du
sommet des chefs d'Etat sur les réfugiés,
les rapatriés et les déplacés
internes en Afrique, du 19 au 23 octobre à
Kampala, la capitale ougandaise.
« [Cette convention], qui aura une
portée continentale, constituera le premier
instrument juridique international contraignant sur les
droits des déplacés, et l'UNHCR [Haut
commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés] espère qu'elle se
traduira par une amélioration des conditions de
vie des déplacés africains », a dit
à des journalistes Andrej Mahecic, porte-parole de
l'UNHCR, en septembre dernier à Genève.
Des groupes de mobilisation, dont IDP Action, Amnesty
International, la Fédération internationale
des droits de l'homme et Refugees International, ont
salué l'annonce de cette convention. Ils ont
toutefois observé que l'avant-projet contenait des
éléments vagues ou incohérents par
rapport à d'autres normes internationales sur les
droits humains.
« Il y a trop de déplacés en
Afrique et leur situation est trop précaire pour
que l'on puisse se permettre de laisser traîner les
choses plus longtemps », a déclaré
Jeremy Smith, de l'organisation IDP Action. « L'UA
[l'Union africaine] doit faire en sorte que cette
convention soit rapidement ratifiée, puis investir
suffisamment de ressources et de volonté politique
pour qu'elle soit appliquée de manière
effective. »
L'UA a déclaré, dans un
communiqué, que ce texte démontrait la
position de leader de l'Afrique en matière de
réponse aux déplacements forcés de
populations. Cependant, les observateurs affirment que
jusqu'à présent, les mesures prises pour
remédier aux problèmes des
déplacés en Afrique ont été
relativement lentes.
Au fil des années, l'UA a mis en place
différentes initiatives, dont le
déploiement d'opérations de soutien de la
paix, le recours à des envoyés
spéciaux ou des représentants
spéciaux, et la mobilisation de l'aide
internationale pour soutenir la reconstruction
après un conflit.
Dans certains cas, des alliances régionales
sont intervenues pour empêcher ou résoudre
des conflits, ou encore pour favoriser la
désescalade - ainsi la Communauté
économique des Etats d'Afrique de l'ouest (CEAO)
est-elle intervenue au Liberia, en Sierra Leone et en
Côte d'Ivoire ; la Communauté de
développement d'Afrique australe (SADC) en Afrique
australe ; et l'Autorité intergouvernementale pour
le développement (IGAD) dans le conflit entre le
nord et le sud du Soudan.
En outre, la protection des personnes
déplacées est garantie par divers
instruments, tels que la Charte africaine sur les droits
et le bien-être de l'enfant.
« L'Afrique a fait des progrès
considérables en matière de transposition
des principes directeurs des Nations Unies en des
instruments internationaux contraignants », a dit
Walter Kälin, Représentant du
Secrétaire général des Nations Unies
pour les droits humains des personnes
déplacées, dans un rapport à
l'Assemblée générale.
L'Afrique compte la moitié des
déplacés du monde
L'Afrique abrite au moins 11 millions de
déplacés, tandis que le nombre total de
déplacés dans le monde est estimé
à 25 millions. D'après l'UA, les causes des
déplacements sont variées, mais elles sont
la plupart du temps liées au contexte local et
exacerbées par la pauvreté extrême,
le sous-développement et le manque
d'opportunités.
« Depuis les années 1990, les conflits
africains se sont caractérisés par des
violences extrêmes envers les populations civiles
», observe Bahame Tom Nyanduga, membre de la
Commission africaine des droits de l'Homme et des
peuples, et Rapporteur spécial sur les
réfugiés, les demandeurs d'asile et les
personnes déplacées en Afrique.
Appelant les Etats africains à assumer la
responsabilité de la réponse aux violations
des droits humains que subissent les
déplacés, il a observé qu'en
Somalie, au Liberia, en Sierra Leone, dans le nord de
l'Ouganda, au Darfour et dans l'est de la RDC
(République démocratique du Congo), des
combattants armés avaient violé en toute
impunité le protocole de la Convention de
Genève sur la protection des civils.
Les facteurs
climatiques
Par ailleurs, le changement climatique a
contribué à l'augmentation du nombre et de
l'intensité des catastrophes naturelles,
d'après le Bureau des Nations Unies pour la
coordination des affaires humanitaires (OCHA) et le
Centre de suivi des déplacements internes
(IDMC).
Une étude menée par ces deux
organisations a montré que les catastrophes
naturelles avaient provoqué 284 000
déplacements en Mozambique en 2007, 150 000 au
Bénin, 72 805 en Ethiopie et 59 000 en
Algérie.
Cependant, en Afrique, les déplacements
forcés sont pour la plupart imputables à
des actions ou des omissions de l'Etat, qui se traduisent
souvent par des violations des droits humains, des
marginalisations politiques ou socio-économiques,
des conflits au sujet des ressources naturelles ou encore
des problèmes de gouvernance, d'après
l'UA.
Faute de pouvoir migrer vers un autre pays pour fuir
l'insécurité, les personnes
déplacées cherchent à
échapper aux violences sans franchir les
frontières de leur Etat, trouvant refuge dans des
camps de fortune ou des bidonvilles, ou se dispersant au
sein des communautés locales.
« Le nombre des déplacés en Afrique
et les souffrances qu'ils endurent constituent un
véritable scandale », a déclaré
M. Smith, d'IDP Action. « L'Union africaine a fait
avancer la théorie - en élaborant une
convention présentant les protections qui
devraient être accordées aux
déplacés - mais à présent,
elle doit agir. »
Absence d'agence
mondiale
La situation est compliquée par le fait qu'au
niveau mondial, il n'existe aucune agence
spécifiquement chargée de protéger
et d'aider les personnes déplacées - alors
que les questions concernant les réfugiés
sont prises en charge par l'UNHCR.
Dans les conflits armés, les droits des
déplacés correspondent à ceux des
civils, tels qu'ils sont définis par le droit
humanitaire international. Ils sont également
protégés par différentes sources de
droit - bien que les déplacés ne soient
jamais explicitement mentionnés dans les textes -
tels que les droits nationaux, les droits humains et le
droit humanitaire international, lorsqu'ils sont
affectés par un conflit armé.
« Malgré leur situation
particulière, les personnes
déplacées ont droit à la même
protection contre les conséquences des
hostilités, et aux mêmes aides que le reste
de la population civile », a observé le
Comité international de la Croix-Rouge (CICR).
En outre, alors que les déplacés
représentent, au niveau mondial, les deux-tiers
des populations qui fuient l'insécurité
liée à un conflit armé ou à
des violences, ils bénéficient de moins de
droits que les réfugiés.
Au Soudan, par exemple, pays où le nombre de
déplacés est le plus élevé,
on estime que 4,5 millions d'habitants sont
affectés, dont 2,7 millions au Darfour - 317 000
personnes ayant été déplacées
cette année.
« Etant donné qu'ils vivent dans leur
propre pays, les déplacés restent soumis
à la juridiction des autorités nationales
de leur Etat, qui sont souvent impliquées dans les
violences auxquelles ils veulent échapper »,
a observé l'organisation humanitaire d'aide
médicale Médecins Sans
Frontières.
Dans l'attente d'un
instrument contraignant
Le sommet de Kampala avait été
recommandé par la Conférence
ministérielle de l'UA, tenue au Burkina Faso en
mai 2006, ainsi que par le Conseil exécutif de
l'UA, réuni en Gambie en juillet 2006.
En 2007, des ONG réunies à Brazzaville
ont demandé à l'UA d'« adopter des
instruments juridiquement contraignants pour garantir la
protection des droits des migrants [.], la
protection et l'assistance aux
[déplacés] en Afrique, en se
référant aux principes directeurs [des
Nations Unies] relatifs au déplacement de
personnes à l'intérieur de leur propre pays
».
L'avant-projet actuel est fortement inspiré de
ces principes, dont le contenu est essentiellement
dérivé des règles et normes
internationales existantes. Cependant, il s'agit pour
l'instant d'un droit souple : ce texte n'a aucun
caractère contraignant.
D'après IDP Action, il « permet
d'espérer que les Etats africains seront
bientôt liés par des normes contraignantes,
qui les obligeront à prévenir les
déplacements, à répondre aux besoins
immédiats des déplacés et à
créer des conditions favorisant un retour et une
réinsertion durables. »
Approuvée par les ministres africains en
novembre 2008, la convention deviendra juridiquement
contraignante une fois ratifiée par le sommet de
Kampala.
« Le thème de ce sommet spécial
», a observé Tarsis Kabwegyere, ministre
ougandais de la Préparation aux catastrophes, des
secours et des réfugiés, « [.]
est parfaitement adapté à la situation,
étant donné que les déplacements de
populations sont incessants sur le continent depuis
l'époque de l'indépendance. »
Voir aussi :
« Obligés de fuir », film
documentaire sur le déplacement
forcé
La rubrique « Réfugiés et
déplacés » d'IRIN