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bulletin du Fonds Mondial de Solidarité Contre la Faim


(64,3) Novembre 1999

AFRIQUE :

"AU SECOURS, SIDA !"

 

Comme la plupart des grands problèmes de notre société mondiale (guerres, pollutions...) la pandémie du VIH (SIDA) est à la fois conséquence et cause. Ce qui lui donne ce terrifiant caractère d'irréversibilité, et nous donne à nous un sentiment d'impuissance.

Conséquence, la propagation du virus quand elle découle d'un environnement socio-économique qui détermine en grande partie les comportements, y compris sexuels. Exemple : en Côte d'Ivoire (le pays le plus atteint de toute l'Afrique de l'Ouest), le besoin de main d'œuvre sur Abidjan a amené un exode massif d'hommes des régions rurales vers la capitale, son port, ses entreprises et ses chantiers. Ces hommes sont venus sans leurs familles, sans leurs femmes, et leurs appétits sexuels les poussent à avoir des rapports avec des prostituées, voire avec des jeunes filles non-prostituées mais en situation précaire et donc à la recherche permanente d'un peu d'argent.

Cause, remise en cause même, de l'hypothétique développement de toute une partie d'un continent, l'Afrique, quand l'épidémie anéantit (aussi sûrement que la guerre) les efforts menés, par exemple, dans la lutte contre le paludisme ou la tuberculose (dont le virus VIH aggrave le taux de mortalité en y combinant son effet immunodépressif), ou contre la pauvreté. Dans certaines contrées, l'économie est même paralysée par le manque de main d'œuvre dans les champs et dans les usines, du fait de l'épidémie. Au Zimbabwe, une grande entreprise de transport a constaté que sur 11 500 employés, 3 400 étaient séropositifs.

Un exemple précis de cet anéantissement des efforts de développement : à Abidjan, cinq des huit fondatrices du groupe de femmes séropositives "Amepouh" sont mortes, faute de pouvoir se payer la bithérapie dispensée par le FSTI (Fonds de Solidarité Thérapeutique Internationale), même à mi-tarif, soit 5 000 francs CFA par mois alors que le plein tarif est à 100 000 F CFA par mois.

Au CHU de Treichville (banlieue d'Abidjan, de l'autre côté du pont De Gaulle, en venant du "Plateau"), qui ne fonctionne qu'à 50 % faute d'infirmiers, ce sont 80 % des lits qui sont occupés par des sidéens, et on en ressort rarement vivant.

En Zambie, c'est 20 % de la population adulte qui est infectée (source du gouvernement zambien, mai 1999). Toute l'Afrique subsaharienne est touchée (Tchad, Nigeria, Bénin, Togo, Ghana, Liberia, Guinée, Sierra Leone) avec un taux d'infection entre 2 et 8 % (source ONUSIDA - Programme commun des Nations Unies sur le VIH, 1997).

Même taux dans les deux Congo, au Gabon, en Angola. Mais le pire (taux entre 8 et 32 %, comme en Côte d'Ivoire, mais aussi en Haïti et en Guyane, pour ce qui est des Amériques) se situe tout au long d'un axe Addis-Abeba/Le Cap, soit du nord au Sud : Ethiopie, Ouganda, Kenya, Tanzanie, Mozambique, Malawi, Zambie, Zimbabwe, Botswana, Namibie, et Afrique du Sud. Et bien entendu, ce sont les femmes et les enfants qui sont les plus touchés. Les marabouts, sorciers et autres guérisseurs sont encore très influents, et la maladie est souvent considérée comme une punition.

En Afrique, seul le Maghreb semble s'en tirer mieux (moins de 0,13 % de la population est contaminée) à l'instar de toute l'ex-URSS, de la Scandinavie, d'une partie de l'Europe (Allemagne, Royaume Uni, Pologne, Roumanie, Bulgarie, Yougoslavie) et de... la Bolivie (le mieux loti des pays de toute l'Amérique). Au fait, qu'en est-il de la France ? Eh bien, avec son taux de contamination entre 0,13 et 2 %, elle fait moins bien que l'Arabie saoudite ou Madagascar, mais aussi mal que tout le continent nord-américain (ce qui semblerait démentir un peu la relation qui est généralement faite entre pauvreté et Sida).

Mais revenons à l'Afrique, où vient de se dérouler du 12 au 16 septembre, à Lusaka (Zambie) la 11ème conférence sur le Sida et les MST. On y fit ce constat unanime : la maladie n'est plus seulement une catastrophe sanitaire sur le continent noir, y tuant 2 millions de personnes chaque année, et en infectant 4 millions d'autres ; elle "menace la cohésion sociale, la situation économique et l'équilibre démographique de nos nations" (dixit le premier ministre du Mozambique).

Hélas ! il semble que la Conférence de Lusaka fut beaucoup plus politique que scientifique. On y parla davantage de l'affrontement Nord-Sud, de l'opposition laboratoires pharmaceutiques/gouvernements locaux et on y constata grandement les contradictions entre la détresse et les besoins des malades et les "réalités " économiques. Sur 60 débats organisés en 4 jours, une seule table ronde fut consacrée à "l'accès au traitement".

Désespérant !

Quelques lueurs d'espoir toutefois : le gouvernement sud-africain menace de ne plus respecter les brevets des industriels de la pharmacie afin de fournir un traitement à ses 3 millions de séropositifs.

Et en Ouganda (infesté à moins de 2 %), les populations commencent, après avoir assimilé à 98 % les modes de transmission du virus, grâce à un vaste plan d'éducation, à modifier en profondeur leurs habitudes de vie : on a son premier rapport sexuel plus tard, le nombre de partenaires multiples diminue, on utilise de plus en plus le préservatif, et les séropositifs eux-mêmes font de la prévention en allant porter la bonne parole dans les écoles, les clubs sportifs, les villages, et ce au moyen de la danse, de la chanson, du théâtre.

Mais la clé du problème, la rémission de l'épidémie, ne serait-ce pas, là encore, le nord riche qui la détient en se montrant autrement plus solidaire avec le sud pauvre qu'en consacrant seulement quelque 150 malheureux millions de dollars par an à la lutte contre le Sida ? (chiffre de 1997).

Claude Tellier

Sources :

- articles de Fabienne Pompey, Paul Benkimoun et Nathaniel Herzberg dans "Le Monde" des 14, 16 et 18 septembre 1999.

- article de Mercédès Zayagues dans le Mall and Guardian de Johanesburg, repris par Courrier International n° 427 du 7 janvier 1999.

 

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page réalisée par Daniel Durand