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bulletin du Fonds Mondial de Solidarité Contre la Faim


(34,2) Septembre 1991

L'AMAZONIE D'EST EN OUEST

Souvenez-vous ! Dans le numéro 27 (juillet 1989) de MONDA SOLIDARECO, un éditorial attirait notre attention sur les terribles problèmes des populations amazoniennes, après l'assassinat de CHICO MENDES et la tentative perpétrée sur son compagnon OSMARINO AMNCIO RODRIGUES. Il soulignait aussi l'action exemplaire de notre administratrice Muriel SARAGOUSSI et le lin qui pouvait unir à terme cette région au FONDS MONDIAL de SOLIDARITE CONTRE LA FAIM. Par la suite, Muriel publiait dans nos colonnes un article sur l'agrosylviculture, un espoir pour toutes les régions forestières du monde (MONDA SOLIDARECO N° 29). Puis un projet d'apiculture, dont Rose-Marie GAUDLITZ rendait compte dans MONDA SOLIDARECO N° 31, était proposé au financement du FONDS MONDIAL. Enfin MONDA SOLIDARECO N° 33 nous annonçait que ce projet, à VILA PRESIDENTE MEDICI, allait pouvoir démarrer grâce aux financement conjoints du FONDS MONDIAL et du F.I.D.E.S. sollicité par nous-mêmes. Ainsi, peu à peu, les choses se concrétisaient, et il était temps qu'un contact plus étroit s'établisse entre les protagonistes du développement de l'Amazonie dont nous vous avons entretenus au fil des numéros de MONDA SOLIDARECO et le FONDS MONDIAL.

C'était l'objet du voyage qui m'a mené au printemps dernier des confins orientaux de la grande forêt (Maranhao, Vila Presidente Medici) à ses confins brésiliens occidentaux (Acre, Brasiléia), où j'ai été rejoint par Rose-Marie Gaudlitz venant du Chili. Après une présentation générale de l'AMAZONIE, je traiterai dans ce numéro du MARANHAO, puis de l'ACRE dans le n° 35.

L'IMMENSITE CONVOITEE

Il faut d'abord planter sommairement le décor. L'AMAZONIE, c'est l'immensité, et on n'échappe pas à quelques chiffres pour tenter d'en donner une idée. Pour sa partie brésilienne, c'est une superficie égale à 1,5 fois l'Europe des " douze ", soit 3 400 000 km2. Cela représente 60 % du grand ensemble forestier amazonien (5 809 000 km2) qui s'étend sur 8 pays d'Amérique latino-indienne : Bolivie, Brésil, Colombie, Guyane française, Pérou Surinam, Venezuela.

Sur ce vaste territoire, le réseau hydrographique le plus impressionnant du monde(1/5 des réserves d'eau douce de la planète) irrigue un biotope forestier tropical qui abrite les 2/3 des espèces vivantes connues sur la planète : un million d'espèces animales et végétales y sont identifiées... mais des dizaines de milliers restent inconnues.

Tout comme les glaces polaires, la surface des océans et les autres massifs forestiers, l'Amazonie constitue un régulateur essentiel du climat mondial.

Les limites de l'Amazonie, brésilienne " légale " englobent des états fédérés : Acre, Amazonas, Goias, Maranhao, Mato-Grosso, Para, Rondonia et Roraima, soit plus de la moitié de la surface du Brésil. Sur, ce territoire vivent des populations humaines très différenciées, très inégales en nombre, et dont certaines ont des intérêts radicalement antagonistes : les indiens (premiers occupants) dont plus de 60 tribus ont disparu dans la dernière décennie, les " seringueiros " et " castanheiros " qui exploitent extensivement le latex et la noix du Para, les colons (ex-" paysans sans terre " repoussés vers le nord du Brésil), les " fazendeiros " éleveurs extensifs de bétail, les " garimpeiros " (chercheurs d'or) et enfin les mineurs et autres ouvriers des grandes exploitations minières du type Carajas.

Sous la pression de l'exploitation sauvage des ressources, notamment l'élevage extensif et les usines sidérurgiques, le défrichement atteint 100 000 km2 par an, soit l'équivalent de 11O % de la surface du Portugal. Là, l'érosion, la modification des microclimats et la déstructuration des sols aboutissent en 3 ou 4 ans à la stérilisation de la terre.

" L'Amazonie, un potentiel fantastique, biologique et minéral, meurtri par la folie du capitalisme sauvage et par l'incompétence gouvernementale " (René Dumont et Alain Ruellan le 21.03.1989).

VILA PRESIDENTE MEDICI : une grosse bourgade rurale connue de toute la population sous le nom de SANTA TERESA DO PARUA, débaptisée par le pouvoir militaire pour éviter au nom de l'un de ses présidents - dictateurs de sombrer dans l'oubli. Située à peu près à mi-chemin entre SAÔ LUIS, capitale du Maranhao et BELEM, capitale du Par", au bord de la grande route littorale Nord-Sud, elle représente typiquement les colonies de peuplement mises en place par le gouvernement fédéral avec le triple objectif de " mettre en valeur " l'Amazonie, se débarrasser de son problème des petits paysans et paysans sans terre provoqué par l'aberrant système foncier du Brésil (5 % des propriétaires possèdent 70 % des terres et 70 % des paysans vivent sur 5 % des terres) et éviter les frais économiques et politiques d'une réforme agraire. C'est une colonie déjà ancienne, puisque la première génération arrive à renouvellement, et elle est exemplaire du vécu de millions d'autres paysans à travers le Brésil.

ON S'INSTALLE...

Le scénario de colonisation reste le même depuis le début des années 70 : l'état fédéral, à qui appartiennent les territoires non occupés, lotit une superficie " vierge " qu'il attribue à des familles rurales des régions " 'surpeuplées " du Sud ou du Nord-Est du Brésil. Les délimitations des lots se font sur la carte à la règle et au crayon, sans aucune étude préalable du terrain. Les volontaires, démunis de tout, vont tenter leur chance, leur transport par cars ou par camions étant gratuit. Au besoin, on déplace même des populations pas vraiment volontaires, mais qui " posent des problèmes " là où elle vivent. Pour tout pécule : 3 mois de nourriture en cruzeiros. Aucun outil, aucune aide à l'installation : c'est le grand jeu de la survie qui commence. A Vila Presidente Médici, les hasards de la distribution peuvent doter un paysan d'un lot incultivable à 30 km de son habitation...

Peu à peu, ce " front agricole " rogne toute la lisière Sud de l'Amazonie, d'Est en Ouest.

...ET ON DEVASTE !

Au début, la plupart des colons ne se connaissent pas entre eux ; ils sont analphabètes et n'ont jamais connu la forêt. Sans moyens, pressés de cultiver pour survivre, regardant la forêt comme une ennemie à dominer, ils incendient leurs parcelles pour y semer le haricot, le riz pluvial, le manioc cela sans aucun travail préalable du sol. Hélas, les terres ferralitiques de l'Amazonie ne sont pas fertiles : dans cette forêt, tous les échanges biologiques et énergétiques se font au niveau de la frondaison. Tout est " recyclé " avant d'atteindre le sol et le peu d'humus qui se constitue est très rapidement minéralisé sous ce climat chaud et humide. La disparition des arbres entraîne très rapidement la disparition de toute vie. Mis à nu, le sol est soumis à la brutalité des éléments dont vivait la forêt : l'eau et le soleil. Érosion, déminéralisation, déstructuration, latéralisation : après 3 ou 4 années de bonnes récoltes, les rendements s'amenuisent et la parcelle finit par devenir improductive. Beaucoup de paysans se découragent et vont alors avec leurs familles grossir les favellas citadines ou bien s'enfoncent un peu plus dans la forêt pour un nouveau cycle de dévastation. Derrière eux, les " grileiros " spéculateurs généralement non ruraux, s'emparent à bas prix ou par ruse de leur terre et agrandissent des domaines souvent immenses : les 18 plus grands propriétaires d'Amazonie cumulent 400 000 à 4 000 000 d'hectares !

LES MUTIROES

Les paysans de VILA PRESIDENTE MEDICI n'ont pas échappé à la règle. Cependant, comme leur habitat initial était relativement groupé, certains d'entre eux ont décidé de s'organiser pour lutter ensemble et préserver leurs moyens de vie. L'Association des habitants de Vila Presidente Medici a été fondée en 1978 et s'est dotée d'un comité qui a pour mission de reconquérir les droits des paysans et de défendre leur terre. Ce comité a participé depuis à la lutte organisée qui est née dans cette région, avec des répercussions au niveau de l'état du Maranhao. 12 O0 familles sans terre ont été installées par lui sur des lots individuels de 50 hectares, avec création de hameaux et de bourgs pour les rapprocher de leurs lieux de travail. Les familles se sont groupées en divers " mutiroes. " Un " mutirao est une mutuelle de travail collectif, chaque membre donnant à l'ensemble des heures de travail (entraide). Les mutiroes se sont fédérés dans un mutirao central qui coordonne leurs activités et commercialise leurs produits en évitant la domination des intermédiaires. Le mutirao central est épaulé par un " Club des Femmes " particulièrement dynamique.

J'ai pu visiter diverses réalisations dont les habitants sont légitimement fiers. A la base, l'école des petits et l'école primaire (collège de Santa Teresa "), construits de leurs mains et dont ils rémunèrent eux-mêmes les enseignants. Outre les enfants y reçoivent le repas du midi. Déjà certains jeunes issus de ces établissements fréquentent l'Université à SAO LUIS avec la ferme intention de revenir mettre leurs compétences au service d'une collectivité à laquelle ils doivent tout. Parmi eux, la signataire de l'article sur les enfants de la rue (MONDA Solidareco n° 33) Rogenir Almeida Santos, future avocate. E t puis les habitants ont construit une usine de conditionnement du riz. Et aussi ils ont obtenu la construction d'une maternité toute équipée destinée à lutter contre l'importante mortalité des jeunes mères... mais ces locaux attendent depuis des années le personnel soignant promis par un gouverneur un jour de campagne électorale ! Le groupe " Chama " (ce mot signifie à la fois la flamme et l'hôte des étudiants de SAO LUIS a fourni un atelier tout équipé de sérigraphie, et le Club des Femmes anime divers ateliers de couture, de broderie...

Mais cette énorme bonne volonté alliée au dévouement sans limites d'animateurs tels que Milton Gomes da Silva, président de l'Association ou Algenir Sousa Dias présidente du Club des Femmes, ne suffit malheureusement pas à compenser le manque cruel de moyens pour mettre la population à l'abri du besoin. Notons que le problème de la culture non destructive n'est pas résolu. Les pratiques agrosylvicoles ne sont absolument pas connue alors qu'elles paraissent la seule solution technique soutenable dans cette région. A juste titre, le mutirao central souhaite favoriser une diversification des productions en tirant parti notamment des ressources des 10 % de réserva forestière imposés par la loi à chaque exploitation. De là est venue l'idée de développer l'apiculture, d'une part pour améliorer la productivité des cultures en favorisant leur pollinisation, d'autre part pour produire du miel dont le marché est assuré, tant dans la région qu'à l'extérieur.

MIEL, RIZ ET MUTUALISME TRANSNATIIONAL

31 familles (248 personnes) parmi les plus organisées sont disposées à se former à l'apiculture et à l'enseigner ensuite à d'autres. Ainsi, dans les 2 ans, ce seront 200 familles qui pourront se consacrer à cette activité. A plus long terme, l'apiculture pourrait devenir une spécialité communale, voire régionale. 311 essaims ont déjà été repérés dans le secteur. La difficulté immédiate réside dans l'acquisition des ruches qui sont trop chères pour les habitants. Aussi ont-ils décidé de les construire eux-mêmes, ce qui implique d'une part la formation de menuisiers, d'autre part la construction et l'équipement d'un atelier. La formation sera assurée par un technicien dépêché par l'évêché. L'atelier sera construit par les habitants sur un terrain communautaire propriété du comité. Reste l'équipement en machines dont le financement est assuré par le FONDS MONDIAL (20 000 FF de subvention + 20 000 FF de prêt sans intérêts) et le F.I.D.E.S. (20 000 FF de prêt avec intérêts).

Les ruches seront vendues au prix coûtant aux familles qui pourront le cas échéant bénéficier d'un prêt du comité remboursable en miel.

28 personnes (14 familles) adhèrent au FONDS MONDIAL pour une cotisation de la valeur de 168 kg de riz par an et par famille D'autres adhésions sont attendues si le Projet se développe de façon satisfaisante.

Nul doute que, en faisant " boule de neige ", cette activité nouvelle constituera un sérieux ballon d'oxygène pour l'économie de Santa Teresa* Mais ne perdons pas de vue que des solutions techniques urgentes restent à trouver et à développer pour qu'une agriculture durable procure à nos amis toutes les chances pour l'avenir, qu'ils méritent tellement.

Alain Cavelier

Ancien nom de Vila Presidente Medici.


page réalisée par Daniel Durand