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bulletin du Fonds Mondial de Solidarité Contre la Faim


(55,1) Mars 1997

QUELLES SECURITES ALIMENTAIRES ?

 

Voici un demi-siècle, au sortir d'une guerre mondiale qui avait battu tous les records en pertes humaines, la FAO s'était assignée comme objectif " l'accès à tout moment, pour chaque individu, à une nourriture quantitativement et qualitativement suffisante pour mener une vie saine et active ". En 1996, 840 millions de personnes souffraient encore de malnutrition, dont 200 millions de carences nutritionnelles graves qui tuent, chaque année, 15 millions d'entre elles. Ce constat, tout un chacun a pu le lire ou en entendre parler à l'occasion du Sommet mondial sur la sécurité alimentaire qui s'est tenu en novembre 1996 à Rome.

Peu importe que ces chiffres soient sur- ou sous-estimés à partir de statistiques pas toujours impartiales : la réalité de la faim massive est bien là et la réalité tragique d'un seul enfant mourant de faim vaut autant que toutes les manipulations statistiques.

Ce qui retient ici notre attention est le libellé même du Sommet : sécurité alimentaire. Enoncé ainsi, il ouvre malheureusement le champ -et c' est bien ce qui s'est produit- à toutes les interprétations sur les causes de cet état de chose comme sur les moyens de le réduire. Car, si la sécurité alimentaire de la population mondiale est seule en cause, alors la division du travail entre régions nanties pourvoyeuses de calories et régions économiquement dominées pourvoyeuses de matières premières se banalise insidieusement, pour le plus grand profit de ceux qui ont intérêt à cet ordre des choses.

Le débat, légitime, est largement ouvert entre ceux qui voient dans l'accroissement démographique la source d'une augmentation inéluctable des pénuries alimentaires et ceux qui misent sur une stabilisation de la population mondiale à partir du milieu du XXIème siècle. Il est ouvert entre ceux qui constatent que les disponibilités en sols cultivables et en eau potable ou utilisable à des fins agricoles se réduisent comme peau de chagrin et ceux qui avancent que le progrès technologique promet l'exploitation massive de nouvelles ressources, tant naturelles qu'élaborées par l'imagination créatrice des biologistes, des agronomes, des ingénieurs. Il est ouvert entre ceux qui redoutent une artificialisation de plus en plus prononcée et dommageable pour la biosphère des modes de production et ceux qui voient dans une intensification accrue les seuls ressorts de la productivité.

Mais nulle part on ne voit mise en valeur cette vérité élémentaire et pourtant naguère énoncée que la domination la plus efficace d'un groupe humain sur un autre repose sur la dépendance alimentaire.

Lorsque les Etats-Unis conservent dans leur arsenal législatif un texte qui énonce explicitement les conditions d'assistance alimentaire vis-à-vis de pays qui devront servir les intérêts américains, lorsque des syndicats d'agriculteurs influents en Europe prônent obstinément l'accroissement de la productivité de l'agriculture européenne au nom de marchés de la faim dont ils savent pourtant les acheteurs insolvables, ils usent consciemment de l'arme alimentaire pour inféoder les populations défavorisées à leurs intérêts. Crache-t-on sans honte au visage de celui qui vous nourrit ?

Etre dépendant pour son alimentation, c'est consentir une hypothèque sur tout le reste. C'est renoncer à ses capacités de choix dans la plupart des domaines vitaux du fonctionnement social. Une société qui abdique son autonomie alimentaire est déjà une société enchaînée, une société qui ne peut plus jouer pleinement son r"le dans le concert des Hommes.

Au Fonds Mondial, nous ne renonçons pas à penser que la sécurité alimentaire ne saurait se dispenser d'un degré significatif d'autosuffisance, celui dont la préservation autorise chacun à regarder l'autre droit dans les yeux, sans honte et sans soumission, en partenaire égal. Nous essayons d'y travailler. Nous n'y suffirons pas, mais... faites-le savoir : cela pourrait susciter des vocations !

Alain Cavelier

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page réalisée par Daniel Durand