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bulletin du Fonds Mondial de Solidarité Contre la Faim


(66,4) Mai 2000

Un projet, oui ! mais pour quoi, pour qui, comment ?

Il n’est pas facile pour un groupement de tout prévoir quand il se lance dans la grande aventure de mettre en place un projet de production, même si c’est un projet d’autosuffisance alimentaire.

Plusieurs conditions doivent être rassemblées pour que l’espoir suscité par la nouvelle activité ne se transforme pas, plus ou moins rapidement, en déconvenue, en désillusion ou en amertume, parce que le projet ne marche pas ou aboutit carrément à l’échec. Il est parfois arrivé que des projets soutenus par le Fonds Mondial connaissent ce triste sort, et c’est d’autant plus grave que les moyens financiers mobilisés provenaient des cotisations de ceux qui, pauvres parmi les pauvres, plaçaient leur propre espoir dans notre solidarité mutualiste.

Certaines des conditions requises pour la réussite des projets sont évidentes, d’autres sont beaucoup plus difficiles à envisager. Nous allons recenser ici les cinq principales, sans aller jusqu’au fond des choses parce qu’il faudrait beaucoup de place et de temps pour en traiter, mais pour ouvrir un débat (un de plus !) auquel nous demandons à tous et à toutes de participer. Nous souhaitons donc revenir sur ces questions autant qu’il le faudra, à partir des exemples concrets que vous souhaiterez traiter.

Première condition ? la qualité du groupement !

La cohésion du groupement est essentielle. Ses membres doivent bien se connaître, s’apprécier et avoir des intérêts communs ou complémentaires. Les avoirs et biens mis en commun dans le groupement doivent être équilibrés, sinon les moins nantis risqueront d’entrer en conflit de pouvoir avec les mieux nantis à plus ou moins brève échéance. Les règles de fonctionnement du groupement doivent être complètes, claires, admises par tous et révisables par la concertation. Il est indispensable que les fonctions principales (présidence, trésorerie et secrétariat) soient assurées par des personnes différentes et choisies par tous. Les conflits personnels doivent être " laissés au vestiaire " dans le cadre de l’activité du groupement. La répartition des tâches et celle des bénéfices doivent être établies en commun accord. Oui, certains groupements soutenus dans le passé par le Fonds Mondial ont éclaté à cause de mésententes internes du fait que les relations entre leurs membres avaient été insuffisamment définies. Leurs projets ont périclité. Comment retrouver des bailleurs de fonds après des événements aussi lamentables ?

Deuxième condition ? la compétence des membres du groupement !

Quiconque ne peut pas se lancer dans n’importe quel projet. Un maraîcher ne peut pas s’improviser éleveur, un pêcheur s’improviser artisan s’ils n’ont pas reçu la formation nécessaire. Lorsqu’un groupement se lance dans une nouvelle activité, il faut que plusieurs de ses membres (tous si possible) aient une expérience de cette activité, ou reçoivent une formation avant de se mettre au travail. Plus grand est le nombre de personnes formées, plus les chances de réussite sont élevées ? si un membre tombe malade, d’autres peuvent le remplacer pour les tâches qui lui étaient assignées. Il est essentiel que l’équipe d’animation soit bien formée à l’administration d’un groupement, à la gestion et à la comptabilité. Lorsqu’une équipe est remplacée, la nouvelle doit recevoir à son tour cette formation. Plus grand est le nombre de personnes compétentes, meilleur est le contrôle de l’activité du groupement par l’ensemble des membres. Peu de problèmes de ce genre chez les partenaires du Fonds Mondial ? l’encadrement sur place par les ONG locales et la formation qu’elles dispensent permet d’éviter ce type d’inconvénients.

Troisième condition ? la pertinence du projet !

Un projet de pisciculture au milieu du désert a peu de chances de procurer beaucoup de revenus : pas d’eau, pas de clients ! L’objectif du projet doit répondre à une nécessité locale forte : produire des denrées d’autosuffisance alimentaire ou génératrices de revenu qui ne sont pas accessibles sur le marché, parce qu’inexistantes ou trop chères, mais dont la population locale a besoin. Il faut donc réaliser une " étude de marché " préalable qui tienne compte, non seulement des besoins locaux mais aussi de la solvabilité des acheteurs potentiels : à quoi bon produire des denrées que personne ne pourra acheter ? Il faut aussi que la production envisagée soit adaptée à la région et conforme aux habitudes de consommation de la population. Et les conditions d’écoulement des denrées produites doivent être correctement assurées : transports, réseaux de distribution. Un problème très délicat est celui de la conservation des denrées : certains de nos adhérents, qui produisaient avec succès des tomates et des fruits, ont eu de grosses pertes parce que leur village était toujours enclavé en saisons des pluies : impossible d’aller vendre à l’extérieur, tandis que la récolte pourrissait… A quoi bon de telles cultures dans de telles conditions, si on ne dispose pas de moyens efficaces de conservation ? Ici aussi, les ONG jouent un rôle important dans la prévention des " erreurs d’aiguillage ".

Quatrième condition ? la taille appropriée du projet !

Il est dangereux d’avoir " les yeux plus grands que le ventre ". Non seulement, le projet doit avoir une taille appropriée à des objectifs raisonnables de production en fonction des besoins locaux, mais aussi il ne doit pas excéder les capacités d’engagement de force de travail de ses membres. En particulier, il faut éviter que les membres aient à choisir, à certaines périodes, entre intervenir sur les parties communautaires du projet et intervenir sur leurs exploitations personnelles : ne pouvant être à la fois " au four et au moulin ", ils choisiront généralement de favoriser leur production individuelle… Le Fonds Mondial a souvent refusé de financer des projets démesurés, parfois complexes, dont il n’avait aucune garantie que les groupements initiateurs auraient la capacité de les mener à bien. Bien lui en a pris : les " grosses " sommes économisées ici lui ont permis de financer ailleurs de nombreux petits projets mieux dimensionnés. Cependant, il ne faut pas tomber dans l’excès inverse, car tout projet doit avoir une taille critique pour devenir rentable à terme. C’est la raison pour laquelle les budgets prévisionnels doivent être établis avec soin et sincérité, avec l’aide des ONG d’appui locales.

Cinquième condition ? l’acceptabilité sociale du projet !

Voici un " grand mot " qui recouvre une réalité toute simple : un projet initié sans au moins l’accord du voisinage a toutes chances d’échouer à moyen ou long terme. Dans les régions où les moyens de faire appliquer l’état de droit (qui garantit à tout citoyen la liberté d’entreprendre sans nuire aux autres) sont très relatifs, mieux vaut prendre ses précautions avant la mise en place d’un projet pour s’assurer qu’il ne portera préjudice à personne, sous quelle forme que ce soit, et qu’il s’établit sur des relations sociales (de voisinage, villageoises) saines. Par exemple, si toutes les précautions n’ont pas été prises pour régulariser l’utilisation foncière des terrains qui supporteront le projet, vous risquez de vous faire expulser à main armé par un chef de village qui a subitement changé d’avis (nous en connaissons un exemple). Ou bien un conflit portant sur l’utilisation d’une parcelle peut vous rendre victime d’actes de malveillance (nous connaissons un exemple d’empoisonnement de bœufs).

La rivalité, la jalousie, sentimentales, hiérarchiques ou économiques, peuvent avoir des effets désastreux sur l’équipement qui permet la mise en oeuvre d’un projet… Certes, personne n’est à l’abri d’actes irraisonnés, mais il est certain qu’on ne doit pas se lancer dans un projet dans un milieu a priori hostile. Les conséquences en sont parfois si graves que nous avons entamé une réflexion, à laquelle nous vous convions ainsi que les ONG d’appui, sur la manière de définir et apprécier les critères d’acceptabilité sociale des projets avant même la préparation du contrat de solidarité qui définit le financement des projets par le Fonds Mondial. Nous souhaitons recueillir un maximum de témoignages et d’avis sur la question.

Cet article, qui ne fait que survoler la question des conditions de réussite des projets, est déjà bien long ! mais il est certainement incomplet. Nous reviendrons au gré de vos courriers sur chacun des points abordés, et sur d’autres, que vous souhaitez développer à votre tour.

AC


page réalisée par Daniel Durand