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Qui veut la paix?
Luigi EINAUDI

(1874-1961) 

L’explosion de la première bombe atomique a définitivement modifié la nature de la guerre et a fait place à une incertitude angoissante quant au destin de l’homme. Peu nombreux furent les hommes politiques qui comprirent immédiatement combien la condition humaine venait de changer, et combien les critères utilisés habituellement pour juger la situation mondiale étaient devenus obsolètes; l’un d’eux était Luigi EINAUDI, économiste de renommée mondiale, professeur aux universités de Turin et de Milan, président de la République italienne de 1948 à 1955.

Sous sa plume parurent, il y a 50 ans, dans le Corrriere della Sera du 29 mars et du 4 avril 1948 deux articles importants et significatifs pour sa pensée fédéraliste: « Qui veut la bombe atomique? » et « Qui veut la paix? ». Dans la suite vous pouvez lire des extraits de ce second article qui n’a rien perdu de sa perspicacité et de son actualité.

FCE

Le cri «Nous voulons la paix!» est trop humain, trop beau, trop naturel pour une humanité sortie de deux épouvantables guerres mondiales et menacée par une troisième guerre exterminatrice pour que les hommes qui n’ont pas un coeur de bête fauve ne le soutiennent et ne s’en fassent l’écho...

Il ne sert à rien de faire appel [à ce titre] à des idéaux nouveaux, à des transformations religieuses et sociales. Nos seuls guides sont l’expérience historique et le raisonnement. Ce dernier nous met en garde: pour empêcher les guerres, ne considérons pas comme un moyen sûr celui qui, même s’il existe, ne les a jusqu’à présent jamais empêchées. Une religion plutôt qu’une autre n’est pas un moyen sûr; en effet, les religions les plus disparates se sont accommodées des guerres...

De même que l’Etat, à l’aide des policiers, des juges et des gardiens de prison, tient en respect les voleurs et les assassins, de même il est nécessaire qu’une force supérieure à l’Etat, un super-Etat, tienne en respect les Etats décidés à agresser, violenter et dépouiller autrui.

Celui qui veut la paix se doit de vouloir la fédération des Etats, la création d'un pouvoir supérieur à celui de chaque Etat souverain. Tout le reste n'est que bavardage, vain parfois, et il n'est pas rare que cette attitude ne tende à cacher les intentions de guerre et de conquête des Etats qui se déclarent pacifiques. Nous parvenons donc à la même conclusion que celle à laquelle nous devons aboutir en ce qui concerne la bombe atomique. II ne suffit pas de crier: «A bas la bombe atomique, vive la paix!» pour vouloir sérieusement la défaite de l'une et le triomphe de l'autre. II est nécessaire de connaître [...] quelle est la condition nécessaire - et à elle seule suffisante - pour que l'une et l'autre volonté ne demeurent pas des paroles semées au vent. Une telle condition se nomme force supérieure à celle des Etats souverains, elle se nomme fédération d'Etats, elle se nomme super-Etat. S'il faut qu'il existe un juge des méfaits, s'il faut saisir l'agresseur par le col et le contraindre à renoncer à son butin, il faut qu'existe une force, un Etat supérieur aux autres qui puisse obtenir l'obéissance de chaque Etat; et il faudrait même que chaque Etat soit privé du droit et de la possibilité de décider seul de la guerre et de la paix.

Et prenons garde, le super-Etat ne peut-être une quelconque Société des Nations ou encore moins une Organisation des Nations Unies... A quoi sert [en effet] une organisation, une association qui doit recourir au bon vouloir de chacun des Etats associés pour remettre à sa place l’Etat malfaiteur qui se montre récalcitrant envers la volonté commune?...

Le seul moyen de supprimer les guerres à l’intérieur du territoire de l’Europe est d’imiter l’exemple de la constitution américaine de 1788, en renonçant totalement aux souverainetés militaires et au droit de représentation à l’étranger et à une partie de la souveraineté financière...

Par conséquent, lorsqu'il s'agit de faire la distinction entre les amis et les ennemis de la paix, ne nous arrêtons pas aux professions de foi d'autant plus bruyantes qu'elles sont plus mensongères. Demandons au contraire: voulez-vous conserver la pleine souveraineté de l'Etat dans lequel vous vivez ? Si oui, celui-ci est un ennemi implacable de la paix. Etes-vous au contraire décidé à apporter votre voix, votre appui, seulement à ceux qui promettent de mettre en œuvre le transfert d'une partie de la souveraineté nationale à un nouvel organe appelé Etats-Unis d'Europe ? Si la réponse est affirmative, et si les paroles sont suivies d'effet, vous pourrez, mais alors seulement, vous considérer comme partisan de la paix. Tout le reste n'est que mensonge.

(source: Le Fédéraliste)

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