La situation actuelle de Mayotte pose au
gouvernement français un cas de conscience.
Rappelons les faits : Mayotte est une île faisant
partie de l'archipel des Comores dans l'Océan
Indien. Lorsque les Comores, colonie française, se
déclarèrent indépendantes, les
habitants de Mayotte, les Mahorais, refusèrent ce
nouveau statut par crainte, sans doute, de
l'hégémonie des autres îles de
l'archipel et obtinrent, par leur vote en 1976 leur
maintien au sein de la République
Française. par contre la République des
Comores réclame la possession de Mayotte. Elle est
appuyée dans sa revendication par l'organisation
de l'Unité Africaine (O.U.A.), les pays
non-alignés et par l'Assemblée
Générale des Nations Unies, ce qui
gêne considérablement le gouvernement
français dans sa politique extérieure,
simplement pour le statut d'une île de 47.000
habitants, mais, même dans un tel cas, les
principes de moralité politique sont en cause.
On conçoit que les dirigeants français
cherchent un moyen honorable de voir intégrer
Mayotte dans la République des Comores. Mais cela
ne va pas tout seul. En 1976, les votes étaient de
99,4 % pour le maintien dans l'ensemble
français.
On doit consulter à nouveau la population en
1984 sur son appartenance et la question serait
réglée pour le gouvernement français
si les Mahorais voulaient bien changer d'avis et voter
massivement pour le rattachement à l'état
comorien. Or, tout laisse prévoir qu'il n'en est
pas question. Les trois élus les plus importants
de Mayotte y sont formellement opposés et
dénoncent avec vigueur les projets selon eux
inadmissibles de rattachement de Mayotte aux Comores.
La situation de Mayotte ainsi exposée est un
exemple des difficultés qui se présentent
dans l'application des principes reconnus entre les Etats
tout en permettant de respecter la volonté des
peuples. IL faut constater que les concepts suivant
lesquels les peuples pouvaient disposer ou non
d'eux-mêmes, tout en respectant la morale, ont
varié dans le temps. Si nous en étions au
Moyen-Age, il paraîtrait naturel que le Roi de
France vende Mayotte aux Comores contre l'installation
d'une base militaire (il en est question actuellement)
sans s'occuper de l'opinion de ses habitants, car Mayotte
avec ceux-ci serait sa propriété. Si nous
en étions à l'époque de
Napoléon III, il paraîtrait naturel que,
comme pour l'Italie ou l'Allemagne, on aide les Comores
à se constituer en Etat, Mayotte comprise. Puisque
nous en sommes à une période
post-décolonisation et d'autodétermination,
il paraît logique que les Comores soient
indépendantes, mais logique aussi que la
volonté des Mahorais soit respectée.
Les principes qui ont guidé les Etats et les
peuples dans leurs rapports entre eux - si nous laissons
de côté conquêtes et dictatures encore
largement répandues - ont donc varié avec
le temps. La mode est actuellement à la
souveraineté absolue des Etats, aussi
irréelle que soit vraiment cette
souveraineté dite absolue. On pourrait envisager
de rendre Mayotte indépendante. On a bien
donné leur indépendance à des
îles de Polynésie ou des Caraïbes qui
avaient moins de 100.000 habitants. Où
s'arrêtera-t-on dans cette absurde balkanisation du
monde ?
En réalité, les Etats de la Terre, des
plus petits aux plus grands, sont tous
interdépendants, en particulier pour
l'économie. Il serait logique qu'ils se regroupent
en larges communautés, suivant les principes du
fédéralisme : rapprochements
régionaux, politiques, respect des
minorités, etc... Alors Mayotte pourrait
être intégrée à l'Etat
Comorien devenue une fédération respectant
les différences de chacune des îles.
Pour cela, il faut que les Etats acceptent de
transmettre une partie de leurs compétences
à des organismes, des fédérations
à créer. Si l'on veut qu'un peu d'ordre
règne entre les Etats, que les peuples acceptent
cet ordre, il faut qu'à la mode de la
souveraineté absolue se substitue celle de
l'interdépendance et du regroupement en
fédérations.