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LIBRES PROPOS

Les Surréalistes à Gary Davis

Paris, février 1949.

Cher Concitoyen,

Nous avons entendu votre appel. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cet appel parvienne jusqu'à nos amis, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de ces frontières que nous n'avons cessé de nier.

Dans la mesure où nous nous sentons citoyens, il va sans dire que nous voulons être citoyens du monde, et nous demandons ici notre inscription sur le registre qui consacrera enfin un état de fait qui fut toujours pour nous un état d'esprit. Nous entendons ainsi défendre de la façon la plus formelle notre droit naturel à la vie, le nôtre et celui de ceux que nous aimons. Or, ce droit est mis en péril à chaque seconde par ces mêmes nationalismes que nous avons toujours vomis, et dont nous avons dénoncé l'abjection meurtrière en toute circonstance. Il va donc sans dire que, lorsque les événements l'exigeront, nous sommes prêts par-delà votre appel à faire bon marché, au profit de la citoyenneté mondiale, de notre citoyenneté nationale, où nous avons toujours vu une contrainte dont nous sommes encombrés bien malgré nous depuis le jour de notre naissance et que nous avons toujours appréciée publiquement à sa juste valeur. Cette valeur n'a jamais été, et ne sera jamais affectée à nos yeux d'autres indices que négatifs, parmi lesquels le barreau de la prison et la hampe du drapeau entrelacés s'essayent en vain de dessiner le symbole positif de l'addition, mais où nous ne pouvons reconnaître, purement et simplement, que le signe de la croix.

Car nous nous devons de vous le signaler : aux raisons évidentes pour tous qui motivent notre décision d'être dénombrés parmi les citoyens du monde s'ajoutent les raisons mêmes qui ont conditionné jusqu'ici notre activité collective, et dont relève la présente démarche. Elle s'inscrit tout naturellement dans notre effort continu pour dissiper les diversités funestes qui opposent l'homme à lui-même. En dépit de toutes les mauvaises volontés intéressées, elles ne sont pas pour nous un obstacle valable, ni qui doive être éternel.

Lors d'une manifestation récente en faveur de cette conception internationaliste de l'esprit commune à tous les véritables révolutionnaires, ceux qui luttent à la fois pour la libération de l'homme et celle de l'esprit, l'un d'entre nous rappelait le rôle émancipateur de l'automatisme. L'histoire du Surréalisme n'est que la généralisation, de plus en plus large, de son propos initial : retrouver, par le moyen de l'écriture automatique, le jeu désintéressé des mécanismes psychiques. De là, nous avons été conduits à penser que ce jeu ne pouvait être différent dans le sommeil et dans la veille. Si donc l'antinomie du rêve et de l'action doit être réduite, nous avons le droit de conclure : tous les conflits opposant tragiquement la sphère des désirs de l'homme au monde extérieur régi par la plus implacable des nécessités, se trouveront, en fin de compte, résolus dans le règne de la liberté.

Dans notre impatience à hâter l'avènement de ce règne, nous avons pu un temps nous associer à des entreprises qui préparaient tant bien que mal, et plutôt mal que bien, la révolution prolétarienne. Ayant résisté à la tentation des compromis qu'entraîne tout comportement politique, c'est sur un autre plan que nous nous sommes aujourd'hui élevés pour travailler à l'avènement du règne de la liberté. Nous cherchons la clef, d'essence mythique, capable d'ouvrir n'importe quel aspect manifeste du monde pour livrer le secret (sens latent) qu'il renferme. Ainsi poursuivons-nous l'aventure exaltante qui, par la connaissance de son univers, changera la vie de l'homme.

Comme le Surréalisme ne saurait pas plus manquer à cette mission que négliger son côté social, nous étions à votre côté, le dix-neuf novembre dernier, lorsque vous avez interrompu la séance de l'Assemblée Générale des Nations Unies. Nous ne pouvions pas ne pas y être, puisque ce jour-là vous avez réclamé un gouvernement mondial issu directement de la représentation des Peuples, et non de la fallacieuse représentation des Etats.

Avec vous, nous croyons à la disparition prochaine de ces Etats, avec vous nous y travaillerons. Croyez sur ce point, cher Concitoyen, à notre solidarité effective et totale.

Adolphe Acker, Maurice Baskine, Jean-Louis Bédouin, Jean Bergstrasser, Roger Bergstrasser, André Breton, Roland Brudieux, Jean Brun, Adrien Dax, Pierre Demarne, Jean-Pierre Duprey, Jean Ferry, Jindrich Heisler, Maurice Henry, Jacques Hérold, Vera Hérold, Marcel Jean, Nadine Kraïnick, Marcel Lecomte, André Liberati, Pierre Mabille, Jehan Mayoux, Francis Meunier, Nora Mitrani, René Nif, Henri Pastoureau, Benjamin Péret, Denise Prêcheur, Gaston Puel, Jean Schuster, Seigle, Jean Suquet, Toyen, Clovis Trouille, Isabelle Waldberg.

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