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Cahors et le département du Lot :
50ème anniversaire le 24 juin 2000
 
Lionel Jospin - Bernard Charles - Robert Sarrazac - Louis Sauvé - Garry Davis

A l'occasion du 50ème anniversaire de la mondialisation de CAHORS et du département du Lot, la ville de Cahors a édité une excellente brochure de 36 pages, qui présente la portée de l'événement, en retrace fidèlement l'historique et fournit des témoignages actuels de quelques uns des personnages qui ont fait l'histoire. Le Registre International des Citoyens du Monde et quelques organisations mondialistes se sont trouvées associées à cette manifestation.

Les textes de cette page sont extraits de cette brochure que l'on peut encore trouver à la mairie et dans les bibliothèques de Cahors.

Lionel Jospin

Ce que des hommes imaginent, d'autres peuvent à leur tour l'entreprendre. Les 24 et 25 juin 1950, emmenés par quelques visionnaires, les habitants de Cahors et du Lot ont su imaginer un monde sans frontières, une humanité unie et plus forte, une société internationale solidaire, fondée sur le droit et l'égale dignité de tous.

Ils ont ainsi dessiné ce qu'est, avant tout, la " mondialisation " : la prise de conscience d'une communauté de destin pour l'humanité.

Depuis, les Citoyens du monde continuent de faire vivre cet idéal dont, très jeune, je me suis imprégné au sein de ma famille.

Aujourd'hui, les traits les plus manifestes de la mondialisation - l'intégration économique croissante, la globalisation des flux financiers - ne sauraient nous faire oublier l'essentiel: la mondialisation doit servir l'humanité, non se servir d'elle.

Car si la mondialisation ouvre des perspectives inédites, elle creuse aussi les inégalités et nous expose à des risques nouveaux. Nous devons donc la penser, construire les institutions nécessaires à sa régulation, afin de la maîtriser collectivement. Parce que des problèmes globaux appellent des solutions globales.

Dans cette entreprise, nous pouvons nous appuyer sur la vitalité de la conscience internationale. Celle-ci, en cinquante ans, s'est affermie. Et d'abord grâce à des initiatives comme celle qui a réuni dans le Lot, il y a un demi-siècle, des femmes et des hommes sur la " première route de la mondialisation ".

Continuons cette route. Elle mène à la paix.

C'est d'ailleurs celle que nous avons empruntée en Europe. Sur ce continent longtemps broyé par les guerres, des peuples ont su se rassembler par-delà les frontières pour élever une maison commune, fondée sur la paix et l'unité politique, sur la prospérité économique et le progrès social. Nous devons consolider cette maison, l'ouvrir à nos voisins.

Et, forts de cette expérience réussie, sachons contribuer à donner vie, pour le monde entier, à la même espérance humaniste.

Lionel JOSPIN Premier Ministre

 

Bernard Charles

Qui s'en souvient aujourd'hui ? L'élan quasi unanime qui aboutit à faire du Lot un " Territoire Mondial " se produit à la fin des années 40. L'humanité encore secouée par les horreurs de la dernière guerre est à nouveau tétanisée par le spectre d'Hiroshima... L'idée d'une communauté européenne n'en est alors qu'à ses balbutiements, il faudra attendre 7 ans avant que le Lotois Maurice Faure signe au nom de la France le Traité de Rome... Mais déjà une poignée d'hommes rêve d'une planète sans frontières, peuplée de Citoyens du monde collaborant main dans la main pour sa paix et sa prospérité, dans des cellules de base que seraient les communes mondialisées.

Il y a donc cinquante ans, les 24 et 25 juin 1950, Cahors fêtait solennellement mais dans une liesse populaire incroyable sa Mondialisation. En effet, l'année précédente, Cahors, grâce à l'adhésion de ses habitants et de ses élus communaux, relayés par des personnalités nationales, était la première ville à signer la Charte de Mondialisation. Les mois suivants, 239 communes sur 330 que compte le département lotois s'enflammaient à leur tour, pour le projet d'une planète sans frontières, régie par une loi mondiale... A ce jour, dans le sillage de Cahors, 943 communes dans 10 pays de 4 continents se sont mondialisées. C'est dire si l'expérience cadurcienne a été suivie dans le monde entier.

Au-delà du geste symbolique de réinstaller la borne kilométrique de la première route mondiale, comme il y a cinquante ans, le 24 juin 2000, Cahors réaffirmera que le combat est bien à son niveau, au quotidien, pour faire triompher les idéaux de justice, de paix et de fraternité auxquels aspirent tous les hommes de bon sens. De là à imaginer que l'appel de Cahors devienne pour l'essor du mondialisme ce que fut Vizille pour la Révolution Française, l'appel de 1788 donnant naissance aux États Généraux de la France, il suffit de l'action de quelques hommes de bonne volonté...

Mais quoiqu'il en soit " Le Monde sera mondialiste ou ne sera plus " pour plagier la célèbre formule d'Albert Einstein, " One World or None ". J'ai pu mesurer personnellement tout le poids de cette formule, il y a quelques mois, à l'occasion de ma participation à la délégation française à l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Seattle. Le débat est donc bien ouvert...

Nous sommes très honorés du message que nous a adressé Monsieur le Premier Ministre qui, dès sa jeunesse, a été imprégné par cet idéal de paix et qu'il continue de conjuguer au présent et au futur.

Bernard CHARLES Député-Maire de CAHORS

Entretien avec Robert Sarrazac

Robert Sarrazac a conçu en 1947 et expérimenté les mondialisations de communes, entre 1949 et 1958. Il avait 37 ans en 1950. Il a 87 ans.

Quel fut le point de départ de votre engagement ?

je suis obligé de parler d'un périple personnel qui a commencé le 6 août 1945, jour de l'explosion de la première bombe atomique sur Hiroshima. J'avais alors en charge le " Service Information Allemagne " au Ministère des Prisonniers et Déportés que dirigeait Henri Frenay. Il m'avait demandé fin 44 de créer ce Service pour tenter de réduire le fossé psychologique qui séparait de nous les 1100 000 prisonniers de guerre enfermés dans les camps depuis juin 1940.

La bombe d'Hiroshima fut, après mon séjour de 18 mois en Chine et la création du " Service National des Écoles de Cadres du Maquis " aux prises avec la Gestapo, le troisième choc de ma vie. Nous assistions ce jour-là à la fin du système de défense multi-millénaire consistant à porter des poitrines et des armes aux frontières. Il était prévisible que des bombes atomiques miniaturisées seraient mises sur des fusées portant à des milliers de kilomètres. Une nouvelle période de l'histoire humaine commençait.

Je décidais de tout quitter pour fonder un Centre de réflexion sur les nouveaux problèmes qui allaient se poser à l'espèce humaine menacée d'autodestruction... Début octobre 1945, je quittais l'armée et créais en février 1946 avec deux amis, le " Centre de Recherches et d'Expression Mondialiste " en même temps qu'un petit réseau d'une vingtaine de camarades " Le Front Humain des Citoyens du Monde ".

De quelles manières avez-vous pris position ?

Dans la période 1946-47, nous avons étudié les processus à venir de " mondialisation "... Nous avons alors créé les mots nouveaux de " mondialisation ", " mondialisme ", " mondialiste ", " mondialité ", " techniques d'approche de la mondialité ". Mais nous étions aussi tendus vers l'action. Il fallait d'abord sortir du pacifisme bêlant comme on l'avait trop connu entre 1919 et 1939.

Multiples conférences et séminaires, à Paris et en province ; diffusion de documents par la petite Société d'Éditions, "Peuples et Paix " ; nombreuses rencontres et discussions avec des écrivains connus: Breton, Mounier, Vercors, Queneau, Paulhan, des scientifiques: Pierre Girard, Francis Perrin, qui avec les journalistes furent les véritables opérateurs de chocs sur l'opinion internationale que nous allions pouvoir donner face à l'Assemblée Générale de l'ONU, entre octobre et décembre 1948.

Simultanément nous avions établi des relations cordiales avec le " Groupe Parlementaire Britannique pour un Gouvernement Mondial " qui comptait 146 Députés, Travaillistes, Libéraux ou Conservateurs. Nous avions également participé aux deux premiers Congrès des mouvements fédéralistes pour un Gouvernement Mondial, à Montreux en 1947 et à Luxembourg en août 1948. C'est au retour de Luxembourg, fin août 1948, que nous avons découvert en première page de " France Soir " l'existence de Garry Davis, Citoyen du Monde numéro 1...

Que s'est-il passé en novembre et décembre 1948 ?

Le 19 novembre. Après des semaines de préparation et d'organisation minutieuse, ce fut l'interruption de l'Assemblée Générale, au moment précis où VICHINSKY représentant de l'URSS, ancien procureur des fameux Procès de Moscou, prenait la parole. Nous avions préparé à plusieurs une adresse brève et percutante qu'on devait lire. Les caméras de CBS et NBC pour les actualités américaines étaient en place... Les policiers norvégiens de l'ONU voyant Garry Davis assis au premier rang près des caméras pressentaient que quelque chose allait se passer.. Soudain, dans le silence qui était lourd, un militant se lève et dit d'une voix forte : " Et maintenant la parole est au Peuple du Monde pour quarante secondes ". Aussitôt Garry Davis se précipite vers le balconnet en saillie dominant le podium des Délégués des États et commence à lire la fameuse adresse : " Au nom des peuples du monde qui ne sont pas représentés ici, je vous interromps ". Ceinturé et bâillonné par les policiers, il ne peut en dire qu'une partie... Comme prévu, du second balconnet, à une dizaine de mètres, je réussis à dire la fin, ceinturé trop tard par les policiers. A l'entracte, Albert Camus et les Personnalités des " Amis de Garry Davis " tenaient à la brasserie en face du Palais une conférence de presse. Le lendemain, la Presse française et internationale racontait l'événement dans ses détails.

Le 2 décembre. Toujours à l'appel des mêmes personnalités et du réseau médiatique, rassemblement salle Pleyel pour adresser un message au Président de l'ONU. 2 700 personnes dans la salle, 3 000 dans la rue. Le texte d'un " Message du peuple parisien " au Docteur EVATT, Président de l'Assemblée Générale est adopté à l'unanimité. Trois questions précises lui sont posées sur les intentions et capacités de l'ONU. Il est averti que sa réponse sera donnée au Peuple de Paris au Vélodrome d'Hiver le 9 décembre à 20 H 45.

Le 9 décembre. A 17 H, le Secrétariat du Docteur EVATT nous remettait sa lettre de réponse, document étonnant avouant l'impuissance de l'ONU " dont le rôle n'est pas d'organiser la paix mais de la maintenir quand les États l'auront organisée ". Peu après 20 H 45, elle était lue aux 17 000 participants de cette soirée vraiment mémorable. La vérité était enfin avouée... Dans les six semaines suivantes, nous recevions 370 000 lettres dont 70 000 de France.

Comment avez-vous eu l'idée de mondialiser Cahors ?

Le concept de mondialisation des communes date de 1947. De 1946 à 1948, nous avions appris à expérimenter. Après l'expérience de l'O.N.U., nous étions résolus à tenter l'expérience des mondialisations des communes qui n'intéressait pas Garry Davis. Notre collaboration cessa et il poursuivit son action personnelle. Nous conservions des rapports amicaux et nous l'avons invité à venir parler à Cahors... Ce fut le hasard d'une rencontre dans le train Paris-Toulouse qui m'orienta vers Cahors. Ma rencontre avec Émile Bayant, instituteur à Cahors... Un enthousiasme collectif, l'étonnante participation de toute la population les 24 et 25 juin émerveillèrent Lord Boyd Orr, Henry Usborne, les délégations étrangères, André Breton, André Fontaine et tous les journalistes... C'était un signal prophétique, un appel à l'accélération des prises de conscience de la solidarisation planétaire en cours. Il me paraît évident que les mondialisations de Cahors du Monde et du département du Lot, fêtées le 25 juin 1950, va d'ici peu prendre sa vraie place dans l'Histoire... Les noms de Calvet, Sauvé, Francès, Vayssette, Dehan, Mirouze, Latrémolière, Juskiewinski, et mon ami Elie Taillefer restent dans les mémoires. Ce fut une expérience inoubliable de fraternité vécue...

J'étais et je reste convaincu de la nécessité de mondialiser les communes. C'est au cours d'escales en Asie en 1938 (Colombo, Singapour) puis en Chine en 1939-40 (Tonkin, Cambodge) qu'une évidence s'est imposée à mon esprit: la cellule de base de la vie civilisée a toujours été le village, la ville, hier à travers le Conseil des Anciens, aujourd'hui le Conseil Municipal... Notons un fait qui n'est pas assez reconnu : toute commune fait cohabiter sur son territoire des tempéraments, des croyances, des choix politiques divers et opposés. Toute commune est donc une autorité morale indiscutable. Elle a un poids social que n'ont pas les individus. Aussi, elles peuvent se déclarer " Territoire Mondial ", participer à des élections mondiales pour faire naître un pouvoir protecteur mondial... Sans interférer en rien dans les fonctions et les jeux habituels des États, les communes délibérant en commun en nombre toujours croissant, sur la gravité des nouveaux problèmes mondiaux sans solution, pourraient apporter une contribution inédite à leur solution. Et avec la certitude qu'elles seraient au moins écoutées avec respect.

Entretien avec le Docteur Louis Sauvé

Quel fut le point de départ de votre engagement ?

Comme tous les jeunes de mon âge, j'ai été mobilisé en septembre 1939. N'étant alors qu'étudiant en 1ère année de médecine, j'ai revêtu l'uniforme d'infirmier. Lors de l'offensive allemande du 10 mai 1940, je me suis porté volontaire dans l'artillerie. Mais après la chute de Berlin, j'ai compris comme tous les Français, que la guerre était une chose horrible que n'avait pu empêcher la Société Des Nations. Nous partagions pourtant avec l'Allemagne un capital culturel commun exceptionnel (philosophique, littéraire, musical ... ) auprès duquel des frontières conventionnelles me parurent ridicules. Le patriote que j'étais est donc devenu mondialiste sans le savoir et malgré tout, très fier d'être français.

De quelles manières étiez-vous déjà engagés ?

Nous avions déjà fondé, en 1941, mon ami le Dr Pierre Richard et moi, l'association Pierre-neuve, observatoire de l'exode rural et des problèmes d'environnement liés à l'industrialisation... Parisien de naissance, je me suis installé comme médecin à Gramat fin 46. Ayant acquis une certaine expérience de l'anesthésie dans le service de mon père, alors Président de l'Académie de Chirurgie, le nouveau chirurgien de Cahors demanda ma collaboration. Après un stage de quatre mois à l'Hôpital Broussais dans un service de pointe de chirurgie thoracique, je suis arrivé à Cahors comme vacataire dans le service du Dr jean Rougier, où le Dr Lolmède fit venir son ami le Dr Georges Toulemonde. En juin 1948, j'ai alors jeté les bases, le premier en milieu rural, d'un service de Réanimation-Anesthésie et dans la foulée, le second Centre de Transfusion après Toulouse, ainsi qu'un service de Pédiatrie...

Comment êtes-vous entré en relation avec Robert Sarrazac ?

C'est tout à fait par hasard qu'en janvier 1949, Sarrazac (nom de résistance, de son vrai nom Robert Soulage), ancien créateur du Service Nationale des Écoles de Cadres des Maquis-Écoles, initiateur du Centre de Recherche et d'Expression Mondialiste, rencontra dans le train de Toulouse, un instituteur de Cahors, Emile Baynac. Ce fondateur des Francs et Franches Camarades (un ami, entre autres, d'Orson Welles qu'il fera venir dans le Lot en 1953) fut de suite emballé par les projets de Sarrazac. Emile Baynac communiqua son enthousiasme à son ami Guy Marquis, chef de bureau à la Préfecture. Guy Marquis, un de mes premiers donneurs de sang, connaissant mes idées, me proposa de rencontrer Sarrazac.

Vous souvenez vous de vos premiers échanges ?

Je me souviens de ma première rencontre avec ce meneur d'hommes. C'était en février 1949, au " Bordeaux ", le plus grand bistrot de la ville, situé alors au coin du boulevard Gambetta et de la place du même nom. Sarrazac déjà bien renseigné sur mon compte, me dit : " je sais que vous êtes chrétien... J'ai besoin de vous ". Il m'a alors remis un ouvrage de Teilhard de Chardin: " La Planétisation Humaine " et me raconta ensuite rapidement son intervention mouvementé à l'O.N.U. au Palais Chaillot... Sarrazac pressé, prévoyant une course aux armements atomiques, voulait alors se lancer dans une action populaire. Vizille (Dauphiné), en juillet 1788, avait réclamé la Convocation des États Généraux de France. Pourquoi pas aujourd'hui Cahors, mais ceux du Monde ? Pour moi, cette rencontre de février 1949 reste un moment capital de ma vie. C'est en effet dans ce bistrot de Cahors que la "Charte de mondialisation", qu'il avait préparée et pour laquelle, il eut la délicatesse de me demander quelques retouches, a reçu mon agrément enthousiaste. Le mot mondialisation n'avait pas la connotation désastreuse d'aujourd'hui. Nous voulions " une coordination mondiale des activités humaines " par delà les frontières.

Comment avez-vous fait pour convertir tout le Lot ?

Sarrazac décida de créer un " Conseil de Mondialisation " du Lot dont je serais le président. Comme j'étais jeune médecin, parachuté dans le Lot, auréolé d'une spécialité médico-chirurgicale nouvelle, j'étais tout indiqué pour jouer le prophète qui n'est pas du pays. Bientôt j'attirais une poignée d'hommes extrêmement dévoués, de colorations politiques les plus diverses, condition d'une réussite : des enseignants, agnostiques comme Mirouze, des "talas" comme Dehan, des médecins comme Latrémolière et Juskiewinski de Figeac, Henri Gilles de Cahors, un militaire retraité, Glangetas, le libraire Francès qui transforma son magasin en " Permanence ", le fonctionnaire Guy Marquis, un grand nombre de collégiens de terminale, Bettini, Blanc, Henras, Jouve, Le Garrec, Védrunes, des entrepreneurs et conseillers généraux comme Marcouly, tous marchèrent à fonds. On allait bavarder avec tous les conseillers municipaux dans leurs champs, le plus souvent paysans sympathiques et ouverts. je leur disais : " Vous êtes paysan, vous avez les mêmes soucis que tous les paysans du monde, vous devez les résoudre ensemble. La mise en commun de nos savoirs, l'ouverture des frontières sont des occasions exceptionnelles à ne pas rater! ". C'est vrai, il a fallu franchir le cap du ridicule mais chacun de nous avait le sentiment de travailler pour l'Histoire.

Qu'évoquent pour vous les journées des 24 et 25 juin 1950 ?

D'être trop rapidement dépassées par les événements. Ces journées resteront - quoi qu'il advienne - gravées dans l'Histoire du Lot, de la France... et même du Monde. Des drapeaux aux couleurs mondiales flottèrent sur certains édifices publics à côté du drapeau tricolore, la foule en liesse se massait au pied de la Mairie pour écouter religieusement le prix Nobel de la Paix, Lord Boyd Orr, fondateur à l'ONU de la FAO, venu de sa lointaine Écosse. Le pont VaIentré fut l'objet d'un des premiers spectacles " Sons et Lumières ". J'avais même composé le programme musical : le premier mouvement de la 1° Symphonie de Beethoven éclata dans un feu d'artifice ... Ensuite tout le monde, accompagné des délégations étrangères, emprunta la " Route Mondiale n° 1 ". Sur les hauteurs, les paysans avaient allumé d'immenses feux de la Saint-Jean. Arrivé à Saint-Cirq-Lapopie devant le village médiéval embrasé, André Breton, lui-même participant, fut frappé par l'ambiance surréelle 1 Puis voilà que brusquement, dans la nuit, éclata la guerre de Corée. Chacun y vit le déclenchement de la 3' Guerre Mondiale, cette fois-ci atomique. Alors finie la Fête, finie l'épopée...

Que s'est-il passé après ces journées de fête ?

On eut le bref sentiment que tout était fini. Certes, je fus invité à Londres en 1952 par la 2ème Assemblée de l'Association Internationale des Parlementaires Mondialistes, à côté de l'Abbé Pierre. je me souviens d'un dîner mémorable avec mon épouse dans la grande salle à manger du Parlement dominant la Tamise, aux côtés du 1er Ministre Lord Clément Atlee. J'ai participé à une Assemblée des Peuples à Genève. Mais dans le Lot, c'était la démobilisation avec la dispersion de l'équipe, le départ des collégiens des classes de terminales. D'autres départements continuèrent... À ma retraite, j'ai fait restaurer l'orgue de Cahors, créé un atelier de reliure à la prison de Cahors... Ca me fait drôle d'atteindre les 83 ans! C'était hier..

Entretien avec Garry Davis

Quel fut le point de départ de votre engagement ?

La guerre, ce fut un véritable choc. D'abord un choc par rapport à mon éducation familiale. Mon père était un chef d'orchestre réputé, Meyer Davis, fréquemment convié à la Maison-Blanche. Ma mère, Hilda, était également artiste. Mes deux autres frères étaient musiciens, ma sœur et moi étions comédiens. En 1940, je jouais dans un théâtre ; ma philosophie était alors de rendre le public heureux... J'ai été appelé en 1941, comme pilote de bombardier dans la 8ème U.S. Air Force (stationnement près de Londres) ...

Mes cibles étaient alors l'Allemagne, la Belgique... J'étais jeune, j'avais été happé par la propagande de la guerre... 5 miles au dessus des populations civiles, c'était une sorte de fantaisie... Rien dans mon éducation ne m'avait préparé à être un tueur. A ma 6ème mission au-dessus de Berlin, mon avion a été touché par la DCA, j'ai du me poser en Suède. Interné, je me suis évadé trois mois après. J'ai alors traversé ce qu'on appelle une crise de conscience.

Le fait qu'on soit entré dans une période d'extermination avec pour seule excuse que la guerre des nations était légale, j'ai eu besoin de réfléchir... J'ai repensé mon identité envers les États souverains qui étaient responsables de la guerre. Au lieu de retourner à Broadway poursuivre une carrière obscure d'acteur, j'ai décidé de faire triompher l'idée d'un gouvernement mondial, seule solution à mes yeux pour éviter un nouveau conflit.

De quelles manières concrètes avez-vous pris position ?

A 27 ans, j'ai choisi de faire parler de moi pour donner corps à mon idée...

Premièrement, dès mon arrivée en France en mai 1948, j'ai rompu avec ma patrie d'origine en remettant symboliquement mon passeport américain à l'ambassade des États-Unis à Paris.

Deuxièmement devenu apatride, j'avais le droit et le devoir de choisir ma citoyenneté... Parce que l'humanité était en danger, j'étais en danger.. je me suis donc déclaré citoyen du monde. Je n'étais pas Américain, Français ou Japonais, en sortant du ventre de ma mère, j'étais entré dans la famille Monde pour le meilleur et pour le pire...

Troisièmement, j'ai dressé ma tente sur les marches de la Place de Chaillot devant le Palais du Trocadéro, y campant jour et nuit, pour demander asile et protection à l'Assemblée Générale de l'ONU qui se tenait dans le Palais... Un mois plus tard une vingtaine d'intellectuels dont Albert Camus, André Gide, Jean-Paul Sartre, André Breton, l'abbé Pierre sont venus me soutenir

Quatrièmement j'ai lancé le " Registre International des Citoyens du Monde ", c'est-à-dire l'enregistrement des citoyens du monde par la prise d'une carte d'identité numérotée ; l'idée était simple et immédiatement réalisable. Robert Sarrazac m'avait convaincu de l'intérêt de la notion nouvelle d'"Institutions Mondiales Techniques Neutres "...

A l'époque d'autres, de nombreux savants atomistes et intellectuels, comme Einstein, Gandhi, Willkie... avaient déjà écrit des livres sur le besoin d'une loi mondiale disant que la guerre n'était plus légale...

Certains ont commenté votre "naïveté" et votre course aux médias ?

D'une part, je n'étais pas naïf, au contraire ... La naïveté, c'était et c'est toujours, de croire que l'on peut avoir la paix avec les mêmes institutions. je ne crois pas non plus à l'efficacité du fédéralisme où toutes les nations renonceraient à une partie de leur souveraineté pour créer un gouvernement mondial... Ce n'est pas aux États mais à chaque citoyen, enregistré comme citoyen du monde, d'élire un gouvernement mondial ... De même, en est-il de l'élaboration d'une constitution mondiale ; j'en ai dix sur mon bureau... Mais, une constitution qui n'a pas le soutien du peuple, ce n'est qu'un morceau de papier...

D'autre part, j'étais apatride, la presse était mon seul ambassadeur. Je n'ai pas eu le soutien d'un État ou d'une ambassade. J'étais donc seul avec mon idée et quelques amis. La presse fut pour moi un outil de travail. Nous n'avions pas d'argent mais nous avions des idées. Je ne pouvais pas me contenter d'envoyer des communiqués à la presse. J'ai donc voulu surprendre, attirer leur attention... La presse, vous savez, est en partie achetée par l'État par les hommes d'affaires. Il fallait faire réagir nos hommes politiques... jusqu'à Cahors!

Que s'est-il passé après ces années de forte mobilisation personnelle ?

Entre 1948 et 1950, nous avons eu quelques 750 000 personnes enregistrées. La dessus la guerre de Corée a éclaté... J'ai continué à militer... J'ai créé symboliquement le passeport mondial; écrit 4 livres sur le sujet; créé le journal World Citizen News, fondé la World Citizen Foundation, lancé 4 sites sur internet : dont un sur " Worldgovernment " et un site personnel " Garrydavis "... je me suis même présenté sous l'étiquette du parti des Citoyens du Monde à la candidature de maire de Washington en 1986 et à la candidature de Président des États-Unis en 1988... Une fois encore, ce n'étaient que des gestes symboliques mais qui m'ont permis d'expliquer qu'on pouvait être citoyen du monde à n'importe quel niveau de la politique...

Je suis père de Kristina, Athena, Kim et Troy je suis heureux à 77 ans que l'un de mes fils, Troy poursuive mon œuvre. Mondialiste convaincu, ancien étudiant à Harvard, se bat lui aussi pour la désignation d'un gouvernement mondial chargé de trois missions essentielles : prévenir les guerres, défendre l'environnement et protéger les droits des minorités. Pour Troy le seul clivage qui tienne, c'est le clivage entre démocratie et dictature. Et l'unique remède est de se mettre à l'écoute des peuples, des individus et des minorités afin de promouvoir l'émergence d'un état de droit mondial...

 

 

Textes extraits de la brochure "24 juin 1950 - 24 juin 2000 Citoyens du Monde" éditée par la ville de Cahors.

mise en page Web : Daniel Durand

Des communes et des villes se déclarent symboliquement "Territoire mondial" et contribuent ainsi, par la sensibilisation de leurs habitants, à l'essor de la démocratie mondiale.

  

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